Dreamhamar: Construction d’une communauté autour d’un espace physique et gestion des systèmes complexes en architecture participative

Auteur: Francesco Cingolani_

DOI : https://doi.org/10.48568/fczc-0381

On ne va pas faire une œuvre d’art. Ou, du moins, pas tout à fait. Pas de sculpture ni d’installation pour Stortorget. Plutôt, nous vous proposons d’utiliser ce budget pour mettre en place un processus participatif de création et de débat sur le futur de cet espace publique. Nous allons impliquer dans ce processus les communautés locales (citoyens, associations, écoles) mais aussi les architectes, les artistes et les étudiants venant de partout dans le monde. »

 


Vidéo de présentation de Dreamhamar proposée en mars 2011, réalisée par Laboratorium,  Sources : ecosistemaurbano.org

Ce résumé, accompagné de la vidéo insérée ci-dessus, constituent la proposition que nous avons élaboré avec l’agence Ecosistema Urbano pour répondre à un concours lancé par la municipalité de Hamar (Norvège). Ce concours international visait la réalisation d’une œuvre d’art à installer sur la place principale de la ville (“Stortorget” en norvégien) pour la réaménager et revitaliser le centre. Hamar est une petite ville norvégienne non loin de Oslo, la place en question avait jusqu’alors servi  de parking.

De l’architecte concepteur d’espace à l’architecte coordinateur de processus

En janvier 2011,  j’ai participé, avec l’agence Ecosistema Urbano, à la conception et réalisation du projet Dreamhamar | a collaborative dream to redesign the city center of Hamar.
Depuis 2006 j’avais travaillé à différents projets de “création distribuée”, tels que le mouvement artistique Algomas et les cartographies collaboratives de Meipi. Je me suis aussi intéressé, plus tard, à des processus d’apprentissage en réseau et, dans ce cadre, j’ai participé en tant que coordinateur au projet Urban Social Design Experience. Toutes ces expériences, bien que très hétérogènes dans leurs échelles et le contexte de leurs interventions, ont radicalement modifié ma façon d’entendre la conception architecturale et ont alimenté une vision du métier de l’architecte qui s’éloigne du domaine de la création pure pour se transformer en coordination, management d’espaces ou commissariat de processus.

Cette idée d’un nouveau rôle de l’architecte dans la société contemporaine est au centre du processus Dreamhamar. Ecosistema Urbano était autant convaincu que moi que la clef d’un projet d’espace public est, dans un premier temps, de créer les conditions d’un débat plutôt que de dessiner des solutions. C’est dans ce sens que je tiens à distinguer les processus participatifs traditionnels de la méthodologie du network design utilisée pour Dreamhamar. En effets, le Network Design ne vise pas à obtenir un consensus de la communauté autour d’une solution architecturale, mais il cherche plutôt à:

1) construire et renforcer une communauté d’intérêt connectée à l’espace physique ;
2) animer un débat sur le futur de cet espace ;
3) modifier de manière créative la perception de l’espace, afin d’alimenter un sentiment d’appartenance de la communauté à cet espace.

Dreamhamar est un processus qui vise à la création d’une communauté de travail -appellée Design Network – dont l’architecte coordonne les activités. Le but du processus est de décider de manière participative – et en réseau –  le futur de cet espace public -c’est le network design -. Mais comment obtenir ce résultat? Quels outils avons-nous  mis en place pendant les 4 mois d’activités de Dreamhamar (septembre-décembre 2011)? La suite de l’article décrit et résume les dispositifs conçus pour Dreamhamar. Ceux-ci se retrouvent également dans le diagramme ”Dreamhamar about”.

Vidéo de présentation de Dreamhamar proposée en septembre 2011 (Crédits: Ecosistema Urbano)

Dreamhamar: les dispositifs

Dreamhamar visait à engager à la fois la communauté locale et un réseau international. Notre stratégie d’intervention faisait appel à cette même dualité. Ainsi, d’une part le – PHYSICAL LAB –, un espace physique donnant sur la place et transformé en bureau temporaire, a servi de plateforme d’action pour entrer en contact avec les citoyens et la communauté locale. Et d’autre part, un espace numérique, participatif et décentralisé le – DIGITAL LAB –, servait d’instrument de gestion et de coordination d’une communauté internationale engagée dans le projet, composée d’étudiants en architecture, de designers et d’écoles.

Nous avons organisé des programmations indépendantes pour chacun de ces espaces (en anglais pour le digital lab et en norvégien pour le physical lab) celles-ci étaient conçues pour se croiser à certains moments, afin de générer des échanges et des synergies entre les communautés locale et internationales. Le physical lab proposait des conférences, des ateliers de création collective – ONSITE WORKSHOPS / LECTURES – et le prototypage rapide par des actions urbaine sur la place – URBAN ACTIONS -, alors que le digital lab proposait des workshops en ligne avec des participants de 7 pays differents – ONLINE WORKSHOPS – et des écoles – ACADEMIC NETWORK – ainsi que des sessions hebdomadaire en streaming – HAMAR EXPERIENCE – dans lesquelles l’équipe de travail racontait l’évolution du projet.

Dreamhamar: le processus

Dans un premier temps, le but de cette programmation d’activités était de déclencher l’intérêt des citoyens et de provoquer leurs réactions (mois 0 et 1 : août-septembre). Ensuite il s’agissait d’effectuer une réflexion (“méditation stratégique”) et de développer des propositions pour l’aménagement de la place (mois 2 et 3 : octobre-novembre).
Pour déclencher le débat, donner aux participants une base de travail et éviter le syndrome de la page blanche, nous avons développé au préalable une preliminary urban strategy. Lors de la rédaction de ce document, en juillet 2011, notre souci principal était de ne pas communiquer une idée finie, une solution achevée, mais plutôt d’évoquer des atmosphères et de mettre en valeur les potentialités du lieu. Il ne s’agissait pas de proposer plusieurs solutions et de les soumettre aux choix de la communauté, ni de fournir un support à compléter par les citoyens (comme le promeut la méthodologie Open Ended Design élaborée par John Habraken). Nous voulions engager tout le monde dans un processus de création, plutôt que seulement provoquer une réaction. Nous souhaitions voir notre document préliminaire remixé, voire bouleversé ou – pourquoi pas? – ignoré.

À partir du 17 septembre 2011 et pendant 3 mois, les citoyens et les communautés locales, ainsi que des écoles, des artistes et des architectes de partout dans le monde ont alimenté ce gigantesque brainstorming autour de la place en utilisant les moyens de communication et les outils que nous avions mis à leur disposition. Après avoir animé, coordonné et dirigé ce débat, notre rôle et notre responsabilité était aussi d’aboutir à  des conclusions et de produire un rapport, qui a été présenté à la municipalité et à la collectivité sous forme d’un livre intitulé FUTURE HAMAR BOOK. C’est à partir de ce livre que le département architecture d’Ecosistema Urbano développe actuellement le projet d’aménagement de la future Stortorget.

L’expérience Dreamhamar: provoquer des rencontres, identifier des émergences

Lorsque l’on m’invite à présenter Dreamhamar, j’aime raconter ce projet en disant que nous avons osé utiliser un budget prévu pour une sculpture pour acheter du temps: 4 mois de temps vide à utiliser pour une réflexion collective et une méditation stratégique.
Mes expériences professionnelles dans les processus participatifs m’amènent à insister sur l’importance de l’équation participation = énergie = temps. Cette dépendance nous a accompagné pendant tout le processus de Dreamhamar, de la phase concours jusqu’à l’élaboration des résultats.

Tous les projets développés et tous les commentaires reçus pendant les 3 mois par les centaines de participants ont été récoltés dans une DATABASE public et accessible. Cependant, nous avions la conviction depuis le début qu’une simple classification analytique des donnés aurait été improductive et limitative. Nous avions observé certains phénomènes suggérant que le degré de complexité de Dreamhamar était assez élevé pour pouvoir être considéré comme un système complexe et donc compatible avec l’approche holystique du system thinking. Par exemple, nous avions été frappé par une certaine cohérence entre les conclusion des workshops en ligne et les sujet de discussion des workshops sur place (importance de l’élément de l’eau, interactivité de l’espace, étude d’ensoleillement, etc…), alors que ces activités s’était déroulées dans des temps et des espaces différents. J’étais alors convaincu que pour éviter une surcharge informationnelle qui aurait brouillé nos conclusions, l’attention devait être portée sur ces sujets récurrents qui semblaient représenter, de toute évidence, une priorité pour les citoyens et les participants. J’appelle ces récurrences “les idées émergentes”, pour leur capacité à imposer de manière autonome leur “évidence”, selon un comportement caractéristique des systèmes complexes et distribués.

“Choisir des idées et les connecter entre elles”

La non linéarité de la relation entre temps et énergie qui apparait lorsque la démarche participative atteint un certain niveau de complexité mérite d’être interrogée et est actuellement mon axe de recherche principal. Par ailleurs, l’abondance des informations générées et l’hétérogénéité des propositions développées par les participants a mis en évidence une caractéristique de Dreamhamar que je considère comme révélatrice du monde contemporain: le centre de nos activités se déplace du domaine de la création (avoir une idée) vers celui du choix et de la connexion (choisir des idées et les connecter entre elles).

Ce transfert est encore plus évident si nous considérons l’impact des nouvelles technologies sur nos activités de designers. Avec Dreamhamar, nous avons fait l’expérience de la capacité des NTIC à multiplier nos capacités d’interaction et de partage avec la communauté; cela transforme un processus participatif en un système complexe de communication et de gestion de l’information. De la même manière, les technologies numériques de l’architecture comme la conception et la fabrication paramétriques nous permettent d’élaborer facilement une multitude de solutions alternatives, adaptables et optimisables à chaque situation. Cette multiplication des possibilités par la technologie rend évidents les conséquences de la relation entre le temps et la prise de décision: si nous avons plus de choix, cela fait augmenter le nombre et l’importance des décisions à prendre. Nous savons tous que pour prendre des décisions il nous faut du temps (et/ou de l’énergie). Il est donc fondamental de « dessiner » des temps spécifiques à la prise de décisions.

Dans ce sens, je considère Dreamhamar comme un processus conscient de méditation stratégique et participative, animé par la conviction que 3 mois de réflexions et de démarches participatives sur Stortorget ont été plus enrichissant qu’une sculpture. Ce temps vide est ce que nous considérons comme étant notre œuvre d’art pour la ville.

Références

http://en.wikipedia.org/wiki/Emergence
http://en.wikipedia.org/wiki/Spontaneous_order
http://en.wikipedia.org/wiki/Systems_thinking
http://www.dreamhamar.org/about
http://www.habraken.com/html/variations.htm
http://focusmanifesto.com
http://connectedco.com/2011/03/12/the-connected-company/
http://immaginoteca.com/blog/network-design-philosophy-behind-dreamhamar-process/

 

Pour citer cet article

Francesco Cingolani, « Dreamhamar: Construction d’une communauté autour d’un espace physique et gestion des systèmes complexes en architecture participative », DNArchi, 14/11/2012, <http://dnarchi.fr/pratiques/dreamhamar-construction-dune-communaute-autour-dun-espace-physique-et-gestion-des-systemes-complexes-en-architecture-participative/>

 

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