Appel : Techno-esthétique de l’imaginaire – Regards multiples sur l’I.A. en architecture

DNArchi n° 4
Coordonné par Sébastien Bourbonnais & Louis Vitalis

Les pratiques architecturales ont connu dans les dernières années plusieurs modifications, réajustements, transformations, plus ou moins tributaires des avancées technologiques. Les développements récents des modèles de diffusion communément appelés « Intelligences artificielles génératives » sont eux aussi venus interroger les différentes manières d’aborder le projet. Les capacités de ces moteurs à générer des images, grâce à une instruction textuelle, amènent de nouvelles explorations, parfois frénétiques, chez plusieurs architectes autant qu’elles soulèvent plusieurs questionnements. Comme dans les années 1960 avec l’arrivée de l’ordinateur, les architectes se demandent encore aujourd’hui « quoi faire » de ces nouvelles technologies ? À quoi peuvent-elles leur être utiles ? Comment les employer ? En effet, l’histoire récente nous a montré qu’un groupe enthousiaste d’architectes n’ont jamais cessé de s’intéresser à ces nouveaux outils, instruments ou machines afin d’en explorer leurs potentiels pour l’architecture.

En ce qui concerne spécifiquement les modèles de diffusion (p.e. midjourney, dall-e), ceux-ci se placent dans le sillage des réseaux de neurones (type GAN ou autres) qui eux, en revanche, demandaient à créer et organiser des banques de données conséquentes pour l’entrainement. Cet entrainement est dirigé généralement sur un aspect en particulier (plan, élévation, etc.) de manière à obtenir un résultat en lien avec les éléments de l’entrainement (Chaillou, 2021). Si les modèles de diffusion parviennent à pallier cette contrainte, ils offrent néanmoins une exploration sous un registre complètement différent. Ils permettent, grâce à une association de mots (un prompt), d’obtenir des résultats, souvent séduisants ou déconcertants par le niveau de détails et de réalisme : d’étrange familiarité. L’utilisateur est ensuite invité à renouveler ses formulations jusqu’à ce que le résultat réponde à ses attentes ou intentions initiales ; intentions qui d’ailleurs se modifient au fur et à mesure qu’apparaissent les résultats. Ces intentions peuvent être variées ; contraintes uniquement par la formulation de mots-commandes-commandements. Cette génération d’images, presque instantanée, soulève, comme mentionné plus haut, une série de questionnements qui vont au-delà de leur performance intrinsèque à l’algorithme.

Pour ce numéro nous souhaitons soulever différents enjeux qui occupent les milieux de l’architecture engagés dans une pratique qui recourt à l’intelligence artificielle. Qu’il s’agisse de considérations esthétiques, techniques, éthiques, ou encore pédagogiques, notre souhait est d’encourager la discussion et par le fait même de contribuer au développement d’un regard critique vis-à-vis de l’intelligence artificielle générative en architecture.

Axe 1 : I.A. & Imaginaires

Cet axe s’intéressera aux perturbations stimulantes qu’entrainent ces images – imaginaires – générées, et la plupart du temps regroupées par 4 : formant des mosaïques illimitées. De quelles natures sont ces images ? Quels sont leurs statuts dans les processus ? Et, finalement, à quoi servent-elles ? Y aurait-il une nouvelle architectonique (Villa, 2024) des images à mettre en place ? Serait-il plus juste de parler en termes de pseudo-images (May, 2020) ? La conception architecturale crée déjà les conditions d’une relation référentielle paradoxale, absente mais productive (Vitalis, 2022), qui pourrait être en phase avec le manque de contenu auquel renvoient les images générées. Dans tous les cas, la question se pose de savoir comment saisir ces nouveaux imaginaires (Bridle, 2021), générés à partir de ces banques d’images récoltées (LeCun, 2017), ainsi que de les mettre en tension avec les imaginaires qui se sont constitués depuis une soixantaine d’années au travers des industries culturelles (Stiegler, 2018). Comment ces images peuplent-elles le musée imaginaire de l’architecture (Frémy, 2023) et comment rencontrent-elles cette capacité de l’imagination à « déformer les images fournies par la perception » (Bachelard, 1943, 7) ? C’est en quelque sorte à une confrontation des imaginaires que cette production invite à nous interroger.

Axe 2 : I.A. & Instruments

Cet axe souhaite ensuite mettre en dialogue ces nouveaux moteurs génératifs avec les instruments – organes – de la conception architecturale, déjà nombreux. L’intérêt pour les techniques du design, récemment réaffirmé (Cardoso Llach, 2015 ; Frankhänel, Lepik 2020 ; Çelik Alexander, May, 2021 ; Bourbonnais, 2024), voit avec l’arrivée des I.A. génératives se confirmer l’obligation de mettre en lumière la dimension technique des pratiques architecturales. Il semble d’ailleurs que cette dimension technique offre un cadre qui dépasse l’aspect purement fonctionnel-algorithmique, pour ouvrir la réflexion sur la place à accorder à ces procédés génératifs dans le projet.

Si une série d’outils apparaissent récemment pour améliorer la maîtrise de l’IA, il n’est pas évident qu’ils ne soient pas avalés par les technologies sans que les utilisateurs n’en aient connaissance. Il n’a qu’à penser au CLIP (contrastive language-image pre-training) qui offre un regard nouveau sur la manière de composer les prompts, ou plus récemment encore, les RAG (retrieval-augmented generation) qui viennent affiner les recherches, en permettant de circonscrire l’information sur laquelle générer sa requête. L’opacité des techniques et la dépossession des utilisateurs est une question qui affecte celle de leur rôle dans la conception.

À cet égard, plusieurs approches, originales et subtiles, se développent présentement autour des questions de la technique, il suffit de penser au projet d’organologie de l’esprit (Alombert, 2023), ou de cosmotechniques (Hui, 2021), ou encore à certaines philosophies du soin qui propose de reconsidérer les techniques (Guchet, 2021 ; Triclot 2024). Comment penser les instruments de conception ou de représentation que l’architecte emploie dans sa pratique ? Et, plus largement, ces technologies d’I.A. nous invitent à élargir la focale pour poser la question de notre relation à la technique.

Axe 3 : I.A. & Éthique

Dans cet axe, il s’agit d’entreprendre une interrogation plus normative sur les comportements à entretenir avec ces outils génératifs, d’autant plus que l’évolution de ceux-ci s’effectue selon des logiques qui dépassent, de loin, le cadre de l’architecture. Cet axe a plusieurs facettes. Si des biais liés aux corpus d’apprentissage profonds – généralement occidentaux — ont été identifiés comme la source dans les IA de formes de racisme, de sexisme et de préjugés divers (Aasen, 2024 ; Gurfinkel, 2023 ; Nicoletti & Dina Bass, 2023), comment cela affecte-t-il spécifiquement l’architecture et sa production ? Comment parvenir à éviter ces biais ? Suffit-il de mieux connaître les IA génératives, ou s’agit-il de les utiliser différemment ou encore de les construire autrement ? Ces biais reposent sur l’utilisation de corpus de données. L’effacement des auteurs de ces sources, non crédités, percute aussi une auctorialité déjà en crise dans le secteur de l’architecture.

Alors que les innovations s’enchainent, elles soulèvent également des questions de savoir-faire, d’expertise et de la manière dont traiter ces images dans le projet. Plus largement le problème se pose de savoir comment gérer la profusion d’outils et leur succession ininterrompue. Quel éthos architectural élaborer pour faire face, ou faire avec ces flux d’outils.

D’un autre côté, l’obligation inhabituelle pour les architectes d’énoncer leur intention, c’est-à-dire d’expliciter, via le texte, ce qu’ils souhaitent faire, les incite à s’interroger sur leurs réelles attentes face au projet, à l’architecture elle-même. Enquêter sur les attentes des concepteurs et des utilisateurs d’outils de conception est une manière d’interroger ces techniques par le biais de qui leur est demandé. La demande formulée à ses outils, sous forme de requête lors de l’utilisation ou intégrée en amont dans leur développement, permet de comprendre nos attentes des outils plutôt que de se focaliser sur leurs réactions. Depuis l’imitation de ces perroquets savants, jusqu’aux grands combats homme-machine médiatiquement mis en scène… n’est-ce pas le rôle attribué à ses outils qui est la question ?

Axe 4 : I.A. & Pédagogies

Cet axe souhaite finalement permettre aux nombreux professeurs-pédagogues de partager leurs expérimentations réalisées dans les écoles d’architectures, au travers de studios, de séminaires ou de workshop. Il s’agit ici d’offrir l’occasion de mettre en commun différentes stratégies ou tactiques afin à la fois de tirer profit de ces technologies autant que d’éviter l’emprise de ces images auprès de ses utilisateurs. Il est tout aussi intéressant de comprendre les procédés employés que les réactions de ces utilisateurs face à ces images générées. En effet, si certains penseurs (Mondzain, 2003) montraient que la question de l’image était surtout une question du regard, alors : comment construire ce regard critique à partir de ces images générées par l’I.A. ? Comment donner les moyens aux utilisateurs afin de ne pas considérer ces images comme achevées, mais plutôt de partir d’elles pour les inviter à les affiner, les modifier, les bricoler pour participer à la construction d’un nouvel imaginaire ? D’une nouvelle narration pour le projet ?

* * *

En bref, notre souhait est d’offrir différents points de vue capables de mettre en lumière les dernières explorations qui se réalisent au jour le jour dans les différents lieux d’enseignements, dans certaines agences, autant que de replacer ces questionnements dans une histoire plus longue, où il est indéniable que les thématiques abordées il y a bientôt 60 ans apportent un écho étonnant. Ce numéro thématique souhaite soulever les différents enjeux que l’I.A. générative amène aux pratiques architecturales autant que les questionnements qui en émergent. Notre sentiment est que ces questionnements ne sont pas complètement nouveaux, mais cherchent à préciser leur formulation depuis l’arrivée même de l’ordinateur. L’I.A. amène encore une fois une nouvelle manière d’interroger l’architecture et d’approfondir notre réflexion sur la place des technologies dans les pratiques.

Cet appel thématique est ouvert aux champs de la recherche en architecture et des sciences de la conception, ainsi qu’aux sciences cognitives, à l’éthique, à l’histoire et de la philosophie des techniques, et des technologies de l’information et de la communication (TIC)… et à tous ceux qui s’intéressent à ces questions.


Calendrier :

Réception des abstracts : 10 février 2025
Retour sur les abstracts : fin février 2025
Réceptions des articles complets : 5 mai 2025
Publication du numéro : décembre 2025

 

Consignes aux auteur.ice.s

Types de contribution

Deux types de contributions sont possibles pour ce numéro :
— des contributions scientifiques. Ces articles seront évalués en double aveugle par un comité de lecture composé d’au moins deux relecteur.ice.s. Format : 50 000 caractères maximum avec espaces, bibliographie, notes comprises.
— des contributions de type « récit » pour les professionnels (architectes, enseignants…) qui souhaitent rendre compte d’une expérience (pédagogique, professionnelle,…). Ces articles ne seront pas évalués en double aveugle. Format : de 10 000 à 30 000 caractères avec espaces et notes comprises.

Consignes pour l’envoi des résumés

Les résumés feront au maximum 2 000 caractères espaces compris ou 200 mots.
L’envoi d’un résumé n’est pas nécessaire pour participer au numéro. Les auteurs peuvent envoyer directement un texte complet.
Lien pour le dépôt d’un résumé : https://forms.gle/BwSd1oqjqZxPkeDn7

Consignes pour l’envoi des articles

Les auteur.ice.s enverront leur article à l’adresse suivante : dnarchi[à]dnarchi.fr
Un template sera fourni ultérieurement.

 

Comité d’organisation

Editeurs :
Sébastien Bourbonnais, École d’architecture de l’Université Laval, Canada
Louis Vitalis, ENSA Paris La Villette, France

Avec le comité de rédaction :
Elodie Hochscheid, ENSA de Nancy, France
Julie Milovanovic, Université de Caroline du nord, Charlotte, Etats-Unis
Louis Roobaert, Faculté d’Architecture UCLouvain, Belgique
Joaquim Silvestre, ENSA Paris La Villette, France

 


Références

Alombert, Anne, « Panser la bêtise artificielle. Organologie et pharmacologie des automates computationnels » Appareil, Vers une organologie de l’esprit, 26, 2023.

Aasen, Ryan, « New Media, Old Problems : racial stereotypes in AI Image Generation », Medium, 2024.

Bachelard, Gaston, L’air et les songes. Essai sur l’imagination du mouvement, Corti, 1943.

Bourbonnais, Sébastien, « Évolutions des logiciels d’architecture » in Les instruments de la conception architecturale, Londres, ISTE, 2024 : 13-104.

Bridle, James, Toutes les intelligences du monde, Paris, Seuil, 2023.

Cardoso Llach, Daniel, Builders of the Vision: Software and the Imagination of Design, London, Routledge, 2015.

Chailloux, Stanislas, l’intelligence artificielle au service de l’architecture, Paris, Le moniteur, 2021.

Çelik Alexander, Zeynep et May, John, Design Technics : Archaeologies of Architectural Practice, Minnesota, University of Minnesota Press, 2021.

Frankhänel, Lepik, The Architecture Machine: The role of computer in architecture, 2020.

Frémy, Anne, L’Image édifiante : le rôle des images de référence en architecture, Ed. de la Villette, 2023.

Guchet, Xavier, Du soin dans la technique : question philosophique, London, ISTE, 2021.

Gurfinkel, Jenka, « AI and the American Smile », Medium, mars 2023.

Hui, Yuk, Art and cosmotechnics, Minnesota, Minnesota Press, 2021.

LeCun, Yann, Quand la machine apprend, Paris, Odile Jacob, 2019

May, John, Signal. Image. Architecture, New York, Columbia Books on Architecture and the Cit, 2020.

Mondzain, Marie-Josée, Le commerce des regards, Paris, Point, 2019 [2003].

Leonardo Nicoletti et Dina Bass, « Humans Are Biased. Generative AI is Even Wors », Bloomberg, 2023.

Stiegler, Bernard, La technique et le temps, Paris, Fayard, 2018.

Triclot, Mathieu (éd.), Prendre soin des milieux : Manuel de conception technologique, Paris, Matériologiques, 2024.

Villa, Riccardo M., Upon Entropy. Architectonics of the Image in the Age of Information, Basel, Birkhäuser, 2024.

Vitalis, Louis, « D’une carence référentielle dans le programme de conception architecturale : réflexions à partir du concours de La Villette », Acta Europeana Systemica, nᵒ 1, vol. 11, 2022.

 

L’appel en version PDF

About author
Submit your comment

Please enter your name

Your name is required

Please enter a valid email address

An email address is required

Please enter your message

Licence Creative Commons
Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage à l'Identique 2.0 France.
Designed by WPSHOWER
Powered by WordPress
ISSN : 2647-8447