Nouveau DNA, nouveaux enjeux numériques

Nous sommes très fiers de vous annoncer que DNArchi est de retour avec une équipe augmentée ; tout en restant en lien étroit avec les fondatrices de la revue, Aurélie de Boissieu, Samia Ben Rajeb et Marion Roussel, un nouveau comité de rédaction composé d’Églantine Bigot-Doll, Julie Milovanovic, Joaquim Silvestre, Adeline Stals et Louis Vitalis a fait évoluer depuis quelques mois déjà ce projet. Une étape importante est la création de l’association DNArchi qui officialise son existence ainsi que son comité de lecture.

Cette reprise est l’occasion de réaffirmer un projet éditorial qui intègre les acquis de DNArchi, et affronte de nouveaux enjeux sur la réflexion autour de la conception architecturale numérique. Bref, de regarder le chemin parcouru pour mieux envisager le chemin à parcourir…

 

DNArchi depuis 2011…

Depuis sa création, DNArchi a exploré la culture du numérique en architecture par différents thèmes et avec des articles notamment signés de Philippe Morel, Jean-Pierre Peneau, Livio de Luca, Francesco Cingolani… on peut prendre la mesure de cette trajectoire accumulative par plusieurs questions :

> La question morphologique ; l’introduction du numérique dans les processus de conception architecturale a bouleversé la culture architecturale, c’est entendu. De nouvelles notions ont d’ailleurs fait leur apparition dans le langage architectural et il fallait faire un travail de définition : que sont les blobs, le smooth ou les metaballs… ? Les explorations formelles de différents architectes d’avant-garde font partie d’une histoire de l’architecture qu’il fallait participer à écrire, en revenant sur les figures emblématiques d’une avant-garde telles les plis et formes fluides de Greg Lynn ou encore la transarchitecture de Marcos Novak… jusqu’à presque faire exploser par dépassement la question de la forme avec l’idée d’une architecture liquide inspirée par le cyberespace d’écrivain de science-fiction comme William Gibson. Cette culture architecturale s’inspirant abondamment de philosophes, il était intéressant de revenir sur certaines distinctions théoriques dans ce contexte. Ainsi en va t-il des termes de virtuel, actuel, potentiel et de leur répercussion dans la création architecturale.  

Participant d’une construction des savoirs qui dépasse largement le monde francophone, DNArchi s’est également proposé de rendre compte de démarches de recherche liées à cette réflexion, qu’il s’agisse du “tournant numérique” décrit par le spécialiste italien Mario Carpo, d’approches japonaises de la recherche et de ses spécificités.

> La question morphogénétique ; si la forme était un point d’entrée apparemment évident dans la question de l’architecture numérique, le numérique ouvre aussi aux modalités de production de ces formes, à leurs genèses. Le cas de l’architecte John Frazer était alors significatif : la “formation plutôt que la forme” affirmait un article retraçant la question d’une architecture évolutionnaire, parfois vivante dans les spéculations de Marcos Novak, et de revenir sur la question des algorithmes génétiques en architecture. L’architecture paramétrique, était discutée et l’histoire des transformations des manières de concevoir pouvait être retracée, jusqu’à la faire remonter à Cédric Price. De manière pratique, des tutoriels envisageaient dès lors une initiation aux différents niveaux de programmation, et montraient comment paramétrer des metaballs grâce à aux fonction de potentiels.

La conception, dans cette culture numérique, modifie son rapport à la représentation. Les interfaces utilisant un langage graphique de programmation comme Grasshopper représentent l’espace des processus de conception plutôt que l’espace du résultat de ces processus. Ce changement culturel interroge alors la pédagogie de l’architecture selon Philippe Morel. C’est aussi de manière plus analytique la question de la complexité de la conception qui était soulevée. L’intérêt porté à ces évolutions supposait aussi de garder un oeil critique, notamment sur l’importation de modèles scientifiques en architecture pour concevoir des formes autrement.

> La question des pratiques; La culture du numérique offre de nouveaux potentiels dans les manières de travailler ensemble, appelant à redéfinir les notions de collaborer, coopérer ou participer pour travailler à l’intelligence de ces situations. Deux effets opposés du numérique sur la pratique architecturale furent explorés, à savoir la décentralisation de l’information appelant à une collaboration distante ou network thinking visant à rassembler une communauté de pratiques distendues autour d’intérêts communs (un enjeu de la plate forme DNArchi) et la diversification des expertises de la communauté de pratique des architectes liées au numérique appelant à une forme d’hybridation des pratiques entre programmation et conception. Ce deuxième effet décrit a pour enjeu de faire converger savoirs et expertises dans le même espace physique. Cette convergence questionne  également la forme architecturale de ces espaces de coworking (espaces vaporeux et hybrides).

Tous ces sujets ont été traités avec des formats variés, des essais jusqu’aux retours sur expériences, passant par des comptes-rendus de colloques, cela avec un outillage conceptuel plus ou moins adapté.

 

… vers un renouveau du questionnement de DNArchi ?

En prenant la suite de cette activité éditoriale, nous nous interrogeons inévitablement sur les évolutions du numérique dans la conception architecturale. Depuis 2011, de nouvelles questions se posent, tandis que d‘autres ont perdu en puissance. Toutes ne sont pas d’égale pertinence et DNArchi a un rôle à jouer dans cette réflexion et ces débats. Voici donc quelques sujets qu’il nous semble important de traiter dans les années à venir :

> NUMÉRIQUE ET SOCIÉTÉ

Après une période d’exploration souvent technophile au sein de laquelle la sensibilité technique est portée par un appétit d’expérimentation, la culture digitale, avec sa maturité grandissante, se met en lien avec d’autres problématiques. Se saisissant d’enjeux sociétaux, la technologie demande à être réfléchie d’une manière qui n’est plus exclusivement technique. Dans quelle modalité le numérique a un rôle à jouer pour le social ? La participation citoyenne, l’équité territoriale, le renouvellement des formes de collaboration par des processus bottom-up sont des champs de pratiques de la conception architecturale numérique et donc les sujets d’une réflexion sur cette culture. Envisageant également le rôle prospectif du numérique, la question se pose de savoir comment il est susceptible de contribuer à la réinvention de nos sociétés, à imaginer des formes de vies futures…?

> NUMÉRIQUE ET PROCESSUS DE CONCEPTION

L’architecture paramétrique impose l’utilisation d’un langage de programmation pour générer des formes architecturales impliquant une altération de l’espace de conception. L’espace de représentation de l’objet paramétrique donne à voir des informations sur le processus de conception et sur le concept qui n’était pas présents dans les représentations architecturales traditionnelles. L’engouement pour l’architecture paramétrique au cours de ces 20 dernières années, facilité par le développement d’interface visuelle de programmation rendant la conception paramétrique accessible, est analogue à celui de l’architecture virtuelle et augmentée aujourd’hui. Les outils de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée prolifèrent, ce qui nous pousse à nous questionner sur les potentiels et écueils de leurs intégrations dans la pratique architecturale. Architecture paramétrique, architecture virtuelle et augmentée induisent une modification de l’espace de représentation de l’architecture. L’impact de cette transformation de l’espace de représentation architecturale sur nos pratiques reste encore à définir et explorer.

Faudra-t-il parler du BIM ? Le BIM, sans doute, est une fausse question, une mauvaise piste. Mais au-delà des espoirs solutionnistes et des intérêts économiques, la modélisation des informations d’un bâtiment et le management de cette modélisation peuvent être traités d’une manière critique – plus fine que revendicatrice – comme l’a proposé Léa Sattler. Cette exercice réflexif rebondit inévitablement sur des questions techniques, liées aux données, à leur structuration, à leur pertinence mais aussi sur des questions collaboratives, liées au groupe d’acteurs créant et utilisant les données, à leurs usages, à leurs interactions, aux rapports de force en présence et enfin donc à la relation entre technique et collaboration. Quel BIM peut-on imaginer dès lors que l’on évite les écueils d’un solutionnisme naïf ou d’un marché à conquérir ? Comment la culture architecturale avec toute sa créativité artistique et technique, sa puissance imaginative et sa valeur sociale peut inventer un BIM qui lui soit non pas favorable, mais fertile ? Ces questions évoquant la relation entre outils et concepteur sont à mettre en perspective avec d’autres outils numériques tels que le paramétrique.

Il semble également intéressant de discuter l’influence du continuum numérique actuel voire futur et de questionner son impact sur le processus de conception. En effet, la fabrication est (re)pensée dans un processus global. Cette évolution se fait parallèlement à l’émergence de lieux dits fab lab, apportant une dynamique nouvelle autour de la conception et de la fabrication,impliquant des hiatus inhérents à l’encodage d’intentions analogues et sensibles, à la matière, au réel.

> COLLABORATION HOMME-MACHINE ET CRÉATIVITÉ (ARTIFICIELLE)

Les récentes avancées en intelligence artificielle ont remis le thème sur le devant de la scène. À mesure que les exemples de son application entrent dans notre quotidien, les fantasmes sur les potentiels de l’IA se structurent vers des formes plus tangibles. On commence à comprendre ce qu’elle pourra faire pour et avec nous, mais il reste de nombreuses potentialités qui sont à élucider. Sur les jalons de l’implémentation de la modélisation paramétrique, l’IA vient proposer de nouveaux modes de collaboration personne-machine. L’avenir nous dira comment les concepteurs se saisiront de ces modes de collaboration.

Nous pourrons évoquer la possibilité d’une créativité artificielle et entrevoir les questionnements de la notion d’auteure. Si une créativité est possible à travers une machine, la situation d’interaction avec celle-ci ouvre des questionnements sur les interfaces de contact entre l’individu et la machine. Un autre exemple de piste serait de caractériser cette intelligence et cette créativité dite artificielle afin d’enrichir la notion d’intelligence et de créativité qui dépasse un clivage artificiel/naturel ou encore actuel/virtuel. Sur des thématiques plus psychologiques et sociétales, comment les fictions de l’intelligence artificielle orientent l’évolution réelle de celle-ci. Et enfin, tous les exemples d’implémentation concrète seront l’occasion d’analyser les performances, les changements de pratique induite et autres conséquences mesurables.

> NUMÉRIQUE ET CONCEPTION COLLABORATIVE

La question de l’effet du numérique sur les pratiques architecturales est toujours d’actualité. La collaboration en conception architecturale est maintenant intégrée dans le langage commun. La complexité de la conception collaborative apparaît dans la gestion et la communication entre des acteurs possédant différentes expertises (architectes, ingénieurs, artisans, investisseur, citoyen), pouvant être géographiquement éloignés et travaillant alternativement de manière synchrone et asynchrone sur un même projet de conception. Le numérique entre en jeu dans le développement d’outils de communication flexibles, de sorte que chaque acteur puisse s’exprimer de manière adaptée à son expertise. La collaboration distante, asynchrone ou non, nécessite le développement d’environnements numériques partagés, favorisant la conception collaborative. Les outils numériques possèdent les qualités pour promouvoir la conception collaborative, si tant est que ses outils se placent au service de la conception collaborative, et non l’inverse.        

> NUMÉRIQUE ET PÉDAGOGIE

L’enseignement du numérique en école d’architecture est un réel enjeu pédagogique. Une réflexion est à mener sur la manière d’intégrer le numérique dans le cursus architectural, notamment car les dérives d’utilisation de ces outils, leur gadgetisation et leur mystification sont fréquente. Le risque étant de s’éloigner de l’essence de cette formation qui vise à apporter aux étudiants les compétences pour concevoir des espaces architecturaux en accord avec les besoins sociétaux, culturels, humains actuels et à venir. Dans ce contexte, que signifie enseigner le numérique en école d’architecture, comment l’intégrer et à quelles fins?

 

À tous ceux qui voudront contribuer à cette réflexion, DNArchi sera très heureux d’ouvrir ses pages numériques. À tous ceux qui voudront rejoindre l’équipe pour contribuer à faire exister cette réflexion, DNArchi se veut ouvert à l’échange.

Le comité de rédaction

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