Enjeux des neurosciences pour l’architecture – Synthèse de la table ronde de l’évènement @DNArchi 2021

Introduction

La table ronde « enjeux des neurosciences pour l’architecture » s’est déroulée en ligne, au cours de l’évènement DNArchi21 le 17 septembre 2021. Elle a consisté en une discussion d’une heure entre trois invités : Antoine Bellemare, Yann Harel, et Pierre Cutellic. L’interface entre physiologie, neuroscience, conception architecturale reste encore à définir. La discussion menée lors de cette table ronde explore les motivations, méthodes, perspectives et limites de l’utilisation des neurosciences pour l’étude de la réception des espaces par des usagers d’une part et du processus de conception des concepteurs d’autre part.

La table ronde a été animée par Julie Milovanovic, chercheuse postdoctorale à l’Université de Caroline du Nord, à Charlotte (UNC Charlotte) dans le domaine de la neurocognition du design. Deux des trois invités sont plutôt issus du domaine des neurosciences pour l’étude de la créativité : il s’agit d’Antoine Bellemare (domaine musical) et de Yann Harel (domaine du jeu vidéo). Dans ses travaux, Yann Harel étudie les fluctuations de l’attention de joueurs de jeux vidéo grâce aux domaines de la neuropsychologie et des sciences cognitives. Antoine Bellemare travaille sur la créativité et sur les manières de la stimuler via des outils de la neuroscience. Yann Harel et Antoine Bellemare collaborent sur la création d’œuvres artistiques qui exploitent le neurofeedback interactif (interaction entre les œuvres et les signaux du public). Pierre Cutellic est quant à lui un architecte qui exploite les neurosciences dans ses travaux de recherche [1]. « L’enjeu, c’est de pouvoir développer un langage commun entre neuroscience et conception, c’était l’intérêt de vous avoir tous les trois aujourd’hui et de discuter de ce sujet-là », précise Julie Milovanovic [2].

L’enregistrement vidéo de la table ronde a fait l’objet d’un travail de synthèse. Celui-ci a consisté à identifier des catégories de discussion ex ante de l’échange, ainsi qu’à réorganiser des passages dans un ordre non chronologique, en vue de proposer une restitution digeste et accessible des discussions.

Retranscription et synthèse réalisées par Élodie Hochscheid.

1.    Cadrage du sujet

Yann Harel. Ce que je vois d’entrée de jeu, c’est qu’il est important de distinguer l’apport potentiel des neurosciences vis-à-vis de la création et conception d’une part; et l’apport potentiel des neurosciences vis-à-vis de l’expérience que vivrait le spectateur d’autre part.

Ce que l’on fait avec Antoine dans des expériences de neurofeedback musical, c’est quelque chose qui vise à créer une expérience chez le spectateur. La plus-value de la neuroscience à ce moment-là c’est de pouvoir mettre en place des types d’interactions entre l’utilisateur et l’œuvre qui ne sont pas disponibles autrement. Par exemple, il pourrait s’agir d’une œuvre dynamique qui réagit au spectateur en fonction de ses états cognitifs, d’un décodage cérébral, d’un certain type d’activité ou d’un certain type d’activité qu’on pourrait détecter chez un usager.

C’est très différent du fait d’aller compléter la panoplie du créateur en lui offrant une possibilité d’accéder à des mécanismes de sélection de formes ou de pattern qui ne sont pas disponibles autrement, comme obscurcis par le contrôle délibéré de la création. Grâce à la neuroscience, on est capables d’aller accéder à des éléments de cognition qui sont parfois plus implicites. Les neurosciences peuvent aider d’une part à la génération de formes et d’autre part à la selective retention (un mécanisme basé sur la perception que le créateur fait de ses formes pour sélectionner celles qui sont intéressantes). On peut extraire du signal une forme de structure qui serait porteuse de sens une fois qu’elle serait sortie du contexte du cerveau et qu’elle serait projetée dans le monde réel. Ce type de structure se produit en musique quand on utilise par exemple des rapports de nombres entiers entre des notes, cela a tendance à faire des sons plus harmonieux. De la même manière, on est capable d’aller chercher des rapports harmoniques dans le spectre de l’activité cérébrale, et cela peut éventuellement nous aider à faire sortir des structures complexes que l’on n’aurait pas vues sans passer par là, et qui peuvent être porteuses d’une certaine esthétique.

2.    Outils de la neuroscience et des chercheurs

Mesures et outils

Question. Qu’est-ce que l’on peut mesurer aujourd’hui en neurosciences ? Quels sont les choix que l’on doit faire parmi l’ensemble des mesures que l’on réalise ? Qu’est-ce que l’on ne peut pas mesurer ?

Yann Harel. À l’heure actuelle, l’électrophysiologie, combinée avec la neuro-imagerie par résonance magnétique sont les deux grandes familles de méthodes qu’on a à notre disposition en neuroscience. Les deux ont des avantages et des inconvénients. Les deux sont en général très chères et demandent un scanner médical.

Ce que l’on peut faire en IRM (Imagerie à Résonance Magnétique), c’est une photographie du cerveau avec une très bonne résolution spatiale. À l’échelle du cerveau, on parle de voxels (donc des pixels en 3D) qui font autour d’1mm cube. C’est gigantesque, car cela correspond à des millions de neurones. En revanche, on peut voir l’ensemble du cerveau découpé en voxels, ce qui est déjà une sacrée prouesse.

Puis, du côté plutôt électrophysiologie, on a la magnéto-encéphalographie (MEG) et l’électroencéphalographie (EEG). Ces méthodes permettent d’avoir une bonne résolution temporelle. On a des centaines de capteurs à la surface du crâne, cela ne produit pas autant de détail sur l’activité du cerveau de manière spatiale comparé à l’IRM. En revanche, on a de l’activité qui fluctue à l’échelle de la milliseconde.

Ces deux techniques permettent donc d’avoir des types de résultats différents.

Antoine Bellemare. On voit aussi la démocratisation des outils comme des casques EEG de moins de 500 dollars (canadiens). Ils permettent d’analyser des indicateurs de relaxation. Sinon, avec les EEG, on peut mesurer énormément de choses, mais si on veut avoir l’impression de savoir ce que l’on mesure, alors la liste de features est réduite de beaucoup. Les meilleurs indicateurs que l’on a c’est probablement les ondes alpha ou thêta…

Le lien entre mesures et état d’une personne

Question. Qu’est-ce que l’on peut savoir de l’expérience d’une personne au travers de ces mesures ?

Yann Harel. C’est très large comme question. On va pouvoir détecter des tendances de certains états. On n’en est clairement pas à un stade où l’on peut établir précisément l’état cognitif de la personne sur la base de son état cérébral. On a des petits indices, comme le fait que lorsqu’il y a une quantité d’ondes alpha plus importante la personne est plus relaxée. C’est très euristique comme approche. Quand on essaye de faire de la prédiction, c’est là qu’on va avoir besoin d’employer des paradigmes très réducteurs.

En neurosciences, on est obligés d’avoir une approche très réductionniste, car on travaille sur quelque chose d’extrêmement complexe. On découpe nos mesures en petites unités de plus en plus simples. Cela nous donne des « atomes de comportement ». De plus en plus, il y a des courants en neurosciences qui s’intéressent à des paradigmes qu’on appelle « naturalistic », qui cherchent à aller augmenter la validité écologique de nos expériences. La validité écologique, c’est quand on cherche à étudier un phénomène, on va l’extraire, l’emmener dans notre laboratoire, et on va faire des expériences dessus pour en tirer des conclusions. La validité écologique, c’est savoir si les conclusions qu’on va tirer sur ces éléments et sur ce phénomène encapsulé reflètent le même phénomène dans le monde réel.

Un outil du chercheur : la discrétisation

Antoine Bellemare. Des compositions comme celles de Iannis Xenakis (compositeur et architecte) m’ont ouvert aux arts génératifs, et notamment à cette notion d’aller chercher des sources de structures qui sont déjà présentes plutôt que d’inventer une structure. J’ai trouvé ce mouvement-là très intéressant. Je voudrais donc revenir sur la notion de discrétisation. En neuroscience, quand on étudie le signal cérébral, il est nécessaire d’avoir une approche réductionniste dans laquelle on va découper un spectre très complexe et dynamique. On réunit les fréquences en bandes de fréquences (la bande alpha, bêta, gamma) qui sont des range fréquentiels au sein desquels on assume que les traitements ont une forme d’homogénéité. Quand on voit « du bêta », cela reflète un certain type de traitement. Il y a déjà là une perte d’information, car on prend quelque chose de très riche et complexe et on le découpe en le mettant dans des petites cases. C’est une étape nécessaire, mais c’est toujours possible d’ajouter de la nuance. Il y a toujours plus d’outils mathématiques disponibles qui permettent de décrire le comportement du spectre de manière globale plutôt que certaines fréquences.

Lorsqu’on construit des expériences neurofeedback, on se base sur ce que l’on sait de la relation entre oscillation cérébrale et comportement. Et on assume que ce lien va se retrouver dans notre système. Par exemple quand l’alpha augmente, la personne est censée être plus relaxée. Ce sont des choses bien étudiées dans la littérature, mais il faudrait approfondir. Il y a quelque chose de créatif juste dans l’acte de choisir comment approcher l’activité cérébrale et comment l’utiliser dans un tel contexte. La discrétisation nécessite de faire des choix qui relèvent de l’ordre de la sensibilité personnelle.

3.    Stimuler la créativité

Qu’est-ce que la créativité ?

Antoine Bellemare. En fait, la créativité implique des allers-retours entre des phases d’exploration et des phases d’évaluation. C’est la théorie de la variation aveugle et de la rétention sélective. D’après cette théorie, il y aurait vraiment deux phases au processus créatif. Cette théorie fait écho à cette idée qu’il y a deux formes de pensée qui s’opposent : la pensée divergente et la pensée convergente.

La variation aveugle, c’est l’idée qu’on va produire le plus de réponses possibles à un problème, puis on va évaluer et sélectionner les réponses les plus pertinentes. La pensée divergente est étudiée beaucoup dans les travaux sur la créativité, le but étant de trouver plusieurs solutions à un problème donné. Cela fait écho à l’idée de variation et d’exploration. La rétention sélective, c’est la sélection parmi un ensemble de réponses produites. La pensée convergente a quant à elle pour but de trouver une solution spécifique à un problème donné et fait plus écho à l’évaluation et à la sélection.

Dans mes travaux de recherche, je m’intéresse à la perception divergente. C’est l’idée de trouver plusieurs alternatives perceptuelles à une seule information sensorielle ambiguë. Un exemple classique : un phénomène perceptuel que l’on connait et qui s’appelle la paréidolie. Il s’agit de détecter des formes reconnaissables dans des situations ambigües.

Stimuler la créativité ?

Antoine Bellemare. On réfléchit donc aux moyens qui pourraient exister pour stimuler la créativité par exemple avec une boucle de feedback en utilisant la paréidolie. On a généré des stimulus ambigus propices à la paréidolie. Nous avons fait cela dans un contexte de génération de musique et de visuels. J’ai aussi fait quelques expérimentations avec des collègues architectes : nous avons utilisé un signal cérébral pour faire de la génération de formes qui peuvent inspirer la conception architecturale. Ce serait intéressant si l’on pouvait modifier des formes en temps réel et favoriser la phase d’exploration de la créativité de cette manière.

Cela m’amène au niveau de contrôle que le concepteur architectural souhaite avoir. Il pourrait exister des outils qui permettent de générer beaucoup de formes à partir de l’activité cérébrale, par exemple en demandant au concepteur de naviguer à travers ses états mentaux. Et, après coup, il y aurait plutôt une sélection des formes.

4.    Les neurosciences pour l’architecture ? Perspectives.

De la musique à l’architecture

Antoine Bellemare. Je pense à la manière de rendre meaningful le passage d’un signal cérébral à une œuvre musicale ou des structures musicales complexes. On sait qu’on peut caractériser les rapports harmoniques dans un signal cérébral, on peut donc les transposer en structure harmonique dans un signal musical. Il peut exister des isomorphismes entre le langage architectural et les outils qu’on a en neuroscience. Si on garde l’exemple de structures harmoniques, je peux imaginer que le signal ayant de plus fortes structures harmoniques puisse donner des formes qui sont plus harmonieuses. J’imagine que la notion d’harmonie fait du sens en architecture ? On pourrait avoir des outils comme cela qui permettraient de générer des formes qui stimulent le créateur à partir de sa propre activité cérébrale.

Question. On parle d’un côté de ces signaux que l’on peut identifier et de l’autre de rapports harmoniques (notamment en musique). Est-ce que le rapport harmonique permet de parler d’architectonique, et peut-on faire un parallèle avec l’architecture et la musique ?

Pierre Cutellic. Oui, c’est une bonne question. Mais quand on parle de rapport harmonique en architecture, il y a toujours l’idée de beauté et le développement du goût. L’héritage que l’on a en termes de discours architectural, c’est comment stabiliser des rapports harmoniques dans l’environnement construit ? On peut reprendre l’exemple des formalisations stylistiques pour l’ordonnancement des colonnes, qui devient un canon esthétique. Le problème c’est que le monde construit de l’architecture et son domaine physique n’opèrent pas sur les mêmes dynamiques temporelles et spatiales que la musique. Donc on ne retrouve pas forcément les mêmes motifs de stabilité. Un des problèmes que cela représente concrètement c’est que si l’on trouve dans des réponses physiologiques ou neurophysiologiques par rapport à un environnement construit, on se dit qu’un environnement provoque des réponses plus ou moins stables par exemple. Et le vrai danger c’est de se dire qu’un type d’environnement donné provoque un type de réponse donnée. Le problème c’est de se dire en tant que concepteur « ça y est j’ai trouvé mon vecteur inverse et je peux modéliser mon environnement de cette manière ».

En musique, j’ai l’impression que cela fonctionne parce que la dynamique est différente de celle de l’architecture. Le problème est ontologique : est-ce que l’architecture ce n’est que de l’environnement construit, des surfaces, vecteurs et réflecteurs d’informations ? Ou bien est-ce que c’est quelque chose qui se passe principalement dans l’esprit et le corps humain ? La réponse à cette question impacte fortement la manière dont on va interpréter ce type d’information pour la conception architecturale.
Je me dis qu’il y a des choses puissantes qui peuvent être déduites en musique en termes de rapports harmoniques qui ont été corrélés de la même manière (maladroite) en architecture et qui, on l’a vu, n’ont pas forcément marché. En architecture, cela a fini dans des formalisations plutôt pauvres.

Yann Harel. Je comprends cette problématique et la différence de temporalité entre l’activité cérébrale et le fait de vivre l’architecture. En musique on est familiers avec l’improvisation musicale où la pièce est créée au fur et à mesure de manière très dynamique et interactive, tandis que l’architecture est un médium qui n’offre pas les mêmes possibilités. Je pense que c’est aussi l’occasion pour moi, chercheur en neurosciences, de me poser de nouvelles questions comme « à quoi ressembleraient des structures d’activité cérébrales plutôt à l’échelle macro (interaction avec un lieu au cours d’une semaine) ? ».

Des images au cinéma, du cinéma au jeu vidéo et du jeu vidéo à l’architecture.

Yann Harel. On a progressivement observé des réponses cérébrales de plus en plus complexes, de plus en plus subtiles à analyser. Les paradigmes naturalistic nous ont permis de passer de l’étude de formes simples à l’étude de paysages complexes, toujours sur des images statiques, mais avec de plus en plus d’éléments. Progressivement, on s’en va vers l’étude de films. On montre à des sujets des extraits d’une dizaine de minutes d’un film. On peut observer des synchronisations entre les sujets, donc des réactions similaires des sujets à des stimulus identiques. Tout cela nous permet d’observer le réseau qui est le plus corrélé entre les sujets lorsque l’on observe ce genre de film. Et là on est sur l’activité cérébrale qui n’est plus nécessairement ancrée dans de l’instantanéité, mais c’est plutôt un profil global de la manière dont le cerveau réagit à des stimulus complexes.

Une avenue pour aller chercher l’activité cérébrale qui est interprétable à l’échelle architecturale, cela peut être justement d’organiser des visites virtuelles d’un espace pour essayer de comprendre les éléments saillants semblables chez différentes personnes. Les neurosciences peuvent jouer un rôle de validation du dessin. Comme l’objectif du créateur. Le créateur peut avoir un objectif en tête, une construction qui permet de provoquer tel type de sentiment chez les gens, et ensuite les neurosciences peuvent servir à ajuster le tir. Cela revient à l’idée de feedback. Je pense que ça, ce sont des avenues qui prennent en compte cette question d’échelles et de complexité.

Question. Vous avez évoqué les corrélations inter-sujets quand ils regardent un film. Le problème d’une visite architecturale, comme pour les jeux vidéo, c’est que les sujets font des choix (regarder à droite, à gauche, etc.). Ce qui ressort des mesures neuro ne relève-t-il pas plutôt de choix personnels des sujets que d’une expérience possiblement « universelle » d’un espace architectural ? 

Yann Harel. Observer ce type de corrélations, ça n’a pas encore été fait en jeux vidéo. D’ailleurs vous pointez du doigt un de mes projets de recherche. J’aimerais montrer qu’il est possible d’appliquer ce genre d’analyse au jeu vidéo. Les gens ne font pas exactement la même chose au même moment. Lorsque plusieurs personnes regardent un film, elles ne regardent pas toutes la même chose dans la même temporalité. Si l’on suit le film, on va avoir une réaction au même moment.

Je travaille par exemple avec le jeu Super Mario Bros. Les niveaux sont linéaires. On peut imaginer que le joueur 1 mette plus de temps à certains endroits du niveau, tandis joueur 2 n’aura pas les mêmes points de blocage. Là on voit que si j’essaye de comparer les deux séries temporelles, elles vont être décalées. Pour pallier à ce problème, on a essayé d’utiliser un algorithme qui s’appelle dynamic time warping, qui permet de prendre des séries temporelles et de venir les modifier en les compressant ou en les étendant à certains endroits, de manière à les faire correspondre. On applique donc une transformation à nos séries temporelles de manière à pouvoir les comparer. En appliquant cette première étape de réalignement de séquences, on doit pouvoir être en mesure d’observer des corrélations inter-sujets dans un contexte de jeux vidéo où il y a effectivement une grande variabilité dans ce que la personne fait. Dans le fond, ce problème-là va réémerger à chaque fois que l’on va demander à la personne d’être active.

C’est évident que dans l’expérience de toute œuvre, il y a toujours une dimension active, où chaque personne va vouloir la consommer d’une manière qui lui est propre. Un musée, c’est un espace dans lequel la personne fait un déplacement librement. Une personne va passer d’une œuvre à l’autre en fonction de ce qui l’intéresse elle. Cela rend plus difficile la mesure de la corrélation inter-sujets. Mais cela n’enlève pas cette idée qu’il peut se produire des patrons d’activation cérébrale qui se produisent à une échelle spatio-temporelle dans le cerveau qui est sans doute proche de ce qu’on a en architecture [3].

Je trouve ce type de détection d’état fascinant : cela peut être utilisé à la fois chez l’utilisateur et chez le créateur, moyennant des approches différentes en fonction de ce que l’on veut faire.

Antoine Bellemare. Pour rebondir sur ce que vient de dire Yann, je suis d’accord que dans un contexte de navigation architecturale, c’est plus difficile de faire des mesures. Cela me fait penser également au domaine des neuro-esthétiques qui émerge depuis 5 ou 10 ans qui peuvent d’après moi donner des indicateurs intéressants pour le domaine de l’architecture. Si l’on regarde un indicateur cérébral d’une personne qui navigue dans un espace architectural, qu’est-ce qu’on veut aller voir ? Quel serait notre indicateur qui indique que notre espace est plus agréable ? Est-ce que c’est parce qu’on reste plus longtemps dans cet endroit ?

Les études en neuro-esthétique montrent que c’est plutôt lié aux parties du cerveau qui sont liées à la récompense. C’est comme si vivre des expériences esthétiques augmentait notre propension à passer à l’action. En fait, même si c’est une littérature qui est un peu hétéroclite, pour quelqu’un qui s’intéresserait à voir les réactions dans un contexte architectural, c’est une littérature qui porte peut-être un potentiel intéressant.

Question. Une grande partie de notre cerveau semble être sollicitée par nos interactions sociales. Est-ce que justement cela ne les rend pas plus faciles à explorer (dans un film ou un jeu où il y a des personnes) qu’une réaction à une architecture dépouillée de ses habitants ?

Yann Harel. Effectivement, les interactions sociales de manière générale engagent une plus grande proportion du cerveau que des stimulus plus simples comme les stimulus visuels ou notre sens de la spatialité. C’est une des raisons pour lesquelles on aime avoir une approche réductionniste. On va essayer d’isoler un phénomène pour mettre notre focus sur un phénomène « simple » et bien délimité.

Dans le cadre du jeu vidéo, cela permet d’avoir un peu de contrôle sur les processus cognitifs qui se déroulent chez le joueur. S’il y a un monstre ou un évènement, cela va changer les affordances (affordances = possibilités qu’offre l’environnement). On va pouvoir modéliser cela plus facilement que des affordances abstraites qui se situent à un niveau plus narratif d’interactions entre des personnages.

Utiliser les neurosciences pour agir sur l’espace architectural ?

Question. Si l’on améliore notre connaissance des relations entre expérience, espace et réaction neurophysiologique, quel type d’interaction nouvelle pourrait-on imaginer entre usager et architecture ?

Antoine Bellemare. Ce qui me vient à l’esprit, c’est ce qui implique des installations. J’imagine un spectateur, et je me pose la question de ce qui peut être changé dans cette architecture dans le temps. Normalement c’est une architecture fixe et immuable; on pourrait imaginer modifier l’éclairage de l’espace par exemple. La modification de la lumière pourrait générer différentes perceptions et expérience d’un même objet architectural. On peut imaginer également la musique dans un contexte d’architecture, ou l’environnement sonore avec de la musique ou un travail sur l’acoustique.

Yann Harel. L’acoustique d’un lieu peut être modifiée de façon dynamique dans le but de provoquer des effets intéressants.

Conclusion

Les échanges qui ont eu lieu au cours de cette table ronde a permis d’amorcer une réflexion sur l’utilisation des neurosciences dans le domaine de l’architecture. Les éléments apportés pendant les discussions apportent des outils et éléments clés de réflexion pour des chercheurs qui s’engageraient dans l’exploration des neurosciences pour l’architecture. Outre les outils et méthodes de la neuroscience [4], les participants à la table ronde ont expliqué comment les neurosciences étaient exploitées dans d’autres domaines comme la musique, les arts visuels, le cinéma et les jeux vidéo. Ils ont également engagé une réflexion sur les transpositions possibles ou adaptations nécessaires de l’utilisation des neurosciences dans ces domaines et celui de la conception et perception architecturale.

Notes

[1] Voir la conférence Keynote de Piere Cutellic pour l’événement DNArchi 2021

[2] Retrouvez le profil détaillé des participants sur le programme de l’événement DNArchi21

[3] C’est en partie l’objet de l’article Web based VR for behaviour analysis of architectural designs dans l’appel thématique adossé à l’événement DNArchi21.

[4] Voir Introduction à la neuroscience de Samon Takahashi & Stephen Whitmarsh

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