Une équation pour les utilisateurs du Parc de la Villette de l’OMA I/III

Auteur : Louis Vitalis_

DOI : https://doi.org/10.48568/dxd8-ck82

[Rem Koolhaas dit avoir utilisé une équation pour « calculer » une partie du projet de l’OMA pour le concours du parc de la Villette. Lancé en 1982 sur le site des anciens abattoirs de Paris, le concours se situe à un moment dans l’histoire de l’architecture où émerge la question du numérique : après une avant-garde théorique des années 60, le développement matériel des technologies ouvre des perspectives de concrétisations et un point de « bascule » peut être identifié en 1987 [1]. Rem Koolhaas n’est pas connu comme un architecte appartenant à l’avant-garde digitale et son parc pour La Villette, ne saurait être vu uniquement sous cet angle. Dans sa conception, il divise le projet en 5 couches (« layers »), les bandes, les confettis, les circulations, les grands éléments et les connexions. Elles sont ensuite superposées. L’équation –cette composante essentielle du numérique– intervient dans la couche des confettis et nous ne traiterons que de celle-là.

Qu’en est-il réellement du calcul au regard de la conception ? Peut-il s’y substituer ? Loin des fantasmes d’omnipotence numérique, on cherchera à :

I- comprendre le rôle de l’équation au sein du processus de conception,

II- puis nous chercherons à comprendre si malgré cette relativisation il faut néanmoins considérer la générativité de l’équation comme une forme de conception,

III- notre conclusion négative mènera cependant à l’étude d’un troisième problème celui de la conception des outils de calcul, car les équations sont elles-mêmes des artefacts.]

1/3 — Un calcul dans la conception

Dans sa proposition pour le concours du parc de la Villette, l’agence OMA distribuait à la manière de confettis une partie des programmes sur le site. C’est un moment très ciblé de la conception au cours duquel Rem Koolhaas dit avoir « mathématiquement calculé » [2] la distribution d’éléments , le résultat est présenté par la fig. 1. Cette couche des confettis permet de positionner certains programmes sur la parcelle : il s’agit des programmes fermés et couverts, que les concepteurs avaient précédemment identifiés dans un diagramme de répartition programmatique (les deux bandes plus foncées sur la fig. 2) [3].

Fig. 1 — couches des confettis, Fig.2 — diagramme de répartition programmatique (dessins L.V., d’après R. KOOLHAAS, « Parc de la Villette. Paris, 1982-1983 », in J. LUCAN (dir.), OMA – Rem Koolhaas, op. cit., p. 58 et 57)

Ce type d’usage du calcul est intéressant à étudier si l’on cherche à comprendre ce qui se joue dans les usages du numérique au sein de la conception architecturale. Il a l’avantage d’être particulièrement simple, en effet la formule que montre Rem Koolhaas est la suivante :

f = √ ((A-a)/x)

Où, « f » est la fréquence des éléments, « A » est la surface disponible du site, « a » est la surface de l’élément et « x » est le nombre d’éléments. Pour analyser plus précisément ce moment de conception, nous proposons d’utiliser l’architecturologie, qui, en tant que théorie – scientifique s’entend – de la conception architecturale, devrait en permettre une modélisation. L’architecturologie conçoit comme nous allons le voir la conception architecturale comme attributions successives de mesures.

On peut tout d’abord remarquer que les concepteurs se proposent de calculer ce qu’ils nomment la fréquence, « f », c’est-à-dire l’écart entre les éléments programmatiques. Or, la fréquence n’est pas donnée comme objet à calculer, on aurait pu décider de calculer la distance aux limites de la parcelle par exemple. Ainsi, cela relève d’une décision délibérée, qu’on appellera une opération de « découpage » (choix d’une entité à mesurer [4]), « f » est donc une « dimension » (entité à mesurer, résultant d’un découpage).

Cela dit, on voit sur le dessin précédent de l’OMA (fig. 1) que l’écart entre les éléments varie selon les éléments que l’on considère. Il faut en effet préciser qu’il n’y a pas qu’une fréquence qui est calculée, mais plusieurs ainsi que l’indique l’expression « grilles ponctuelles » [5] au pluriel, et des croquis effectués par les concepteurs (cf. fig. 3).

Fig.3 — croquis des différentes fréquences (dessin L.V., d’après R. KOOLHAAS, SCI-Arc Media Archive | Rem Koolhaas Parc De La Villette Competition Entry, http://sma.sciarc.edu/video/rem-koolhaas-parc-de-la-villette-competition-entry/, consulté le 8 janvier 2016)

Il y a finalement six fréquences différentes, chacune correspondant à un certain type de programme (les kiosques, les aires de jeu, les points de vente, les buvettes, les grandes aires de pique-nique et les petites aires de pique-nique). Or, les concepteurs avaient précédemment établi deux catégories de programmes, fermés et couverts (cf. fig. 2). Cela signifie donc des décisions supplémentaires, des « découpages » (choix de plusieurs entités à mesurer). Dans ces conditions, l’équation est utilisée six fois, une fois pour chaque type, car les valeurs de « a » et de « x » sont propres au type de programme.

On peut repérer dans les discours des concepteurs qu’ils déterminent la mesure « f » pour une raison particulière. Selon Koolhaas, ce calcul mathématique « assure des sphères d’influence égales et la disponibilité optimale des installations réparties sur le site » [6]. Ainsi les concepteurs accordent une valeur à la mesure de l’écart qu’ils se sont donné de calculer, ce que l’on appellera une « pertinence » (valeur de la mesure). Une pertinence d’ordre fonctionnelle, puisqu’il s’agit de l’accessibilité des éléments.

Cette accessibilité renvoie alors à ceux pour qui ces programmes sont rendus accessibles. Cela reste implicite dans les discours des concepteurs, mais l’on peut inférer qu’il s’agit vraisemblablement des utilisateurs du parc qui en auront la jouissance et seront concernés par la possibilité de trouver une buvette à proximité. Cela nous permet d’identifier la « référence » (ce par rapport à quoi l’on attribue la mesure) comme étant les utilisateurs en quête de services. Ces utilisateurs appartiennent à une classe plus générale, un « espace de référence » de la destination du parc et des usages par rapport auxquels les concepteurs décident de situer leur projet. Cette référence n’est pas donnée d’avance et bien qu’il semble assez naturel de penser aux utilisateurs futurs, il n’y a aucune nécessité à cela. La « référence » est issue d’une opération de « référenciation » (constitution de références) au cours de laquelle les concepteurs prennent en considération des objets qu’ils souhaitent mobiliser dans la conception. Ici, ils considèrent les utilisateurs dont ils se sont fabriqués une certaine représentation (le besoin de rejoindre et de profiter de certains services notamment). La « référenciation » en tant qu’elle mobilise des « références » pour la conception donne un sens particulier aux objets référents et donc une indication de « pertinence ». Dans le cas présent, les utilisateurs interviennent dans la conception selon une modalité fonctionnelle (et non pas visuelle pour donner un autre exemple). L’identification des opérations de « découpage » et de « référenciation » ainsi que la « pertinence » qui les unit donne une forme d’intelligibilité au cadre intentionnel dans lequel s’insère et est utilisée l’équation.

Si l’on déplace maintenant le regard de l’amont vers l’aval de l’équation et que l’on suppose la fréquence « f » effectivement calculée, on verra qu’il manque plusieurs opérations avant d’arriver à reproduire le dessin de la figure 1. En effet, « f », le produit de l’équation, est une distance. Avant de dessiner une grille de points sur le site, plusieurs nouvelles décisions s’imposent aux concepteurs. Il faudra définir une disposition, soit l’organisation des éléments entre eux. Les concepteurs de l’OMA dessinent une trame carrée, mais une trame en quinconce était tout aussi possible (cf. fig. 4). Cela peut paraître d’ailleurs étonnant puisque la trame carrée est moins optimisée, laissant des distances plus grandes entre les éléments de programme.

Fig. 4 — Deux types de disposition à partir de la même fréquence (dessins L.V.)

Puis, pour placer cette grille sur le site, il faudra décider d’une position des grilles par rapport au contexte. L’équation ne donne pas d’indications sur ces deux points, il faut donc imaginer que de nouvelles « pertinences » et « références » sont mobilisées pour procéder à ces opérations [7].

Ces considérations permettent de préciser le rôle de l’outil de calcul par rapport aux décisions des concepteurs. On peut ainsi relativiser l’action du calcul par rapport à la conception. Le calcul produit certes quelque chose qui sert la conception, mais il ne saurait s’y substituer. Conception et calcul se relayent et la signification du calcul est alors éclairée par les intentions qui animent le processus de conception.

 

Suite de l’article ici.

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[1] Tel que l’identifie, dans sa thèse, Sébastien Bourbonnais, « Sensibilités technologiques : expérimentations et explorations en architecture numérique 1987-2010 »Université de Laval Québec & ENSA-Paris-Malaquais, p. 14.

[2] Rem Koolhaas, « Parc de la Villette. Paris, 1982-1983 », in Jacques Lucan (dir.), OMA – Rem Koolhaas. Pour une culture de la congestion, Milan Paris, Electa Moniteur, 1990, p. 56–65, p. 58.

[3] Cf. Elia Zenghelis, The 1970s and the Beginning of OMA, http://www.theberlage.nl/galleries/videos/watch/2009_11_24_the_1970s_and_the_beginning_of_oma, consulté le 11 février 2017.

[4] Les notions entre guillemets sont les concepts architecturologiques qui constituent le cadre de notre analyse, ils sont systématiquement définis dans les parenthèses qui suivent. Le but étant de se concentrer sur le travail de conception plus que sur la théorie architecturologique, nous renvoyons sur ce point le lecteur intéressé à : Philippe Boudon, Philippe Deshayes, Frédéric Pousin et Françoise Schatz, Enseigner la conception architecturale. Cours d’architecturologie, Paris, Éditions de la Villette, 2000 ; ou, pour une approche plus accessible cf. Philippe Boudon, Introduction à l’architecturologie, Paris, Dunod, 1992.

[5] R. Koolhaas, « Parc de la Villette. Paris, 1982-1983 », op. cit., p. 58.

[6] Ibid.

[7] Il manque notamment des données pour déterminer précisément ces opérations. Dans le cadre d’une thèse en préparation au laboratoire Map-Maacc, nous avons été amenés à faire les hypothèses d’une « pertinence » esthétique de la disposition et d’une « référence » à la couche des circulations pour la position.

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