Auteur: Anne-Sophie Delaveau_
DOI : https://doi.org/10.48568/shfd-a790
[Il est des mots qui cristallisent des pans entiers de la culture geeko-architecturale… Devenus tartes à la crème ou surannés, dans notre « abécédaire du numérique » nous mènerons notre enquête sémantique !]
Aujourd’hui, suite et fin de notre série sur la blobitecture : après les racines du blob, ses aspects géométriques, nous abordons l’adjectif smoothy – et son antonyme spiky – dont raffolent les architectes pour décrire les surfaces lissées.
Dans l’ouverture d’un article intitulé « L’architecture à l’ère du pli »[1], dédié à la revue critique d’un ouvrage sur l’architecture blob / plissée, l’historien de l’Architecture Mario Carpo rappelle l’intérêt des cinq couples conceptuels de la théorie de Wölfflin [2], tout en déplorant que ce dernier ignore l’un des textes fondateurs de la Gestalttheorie : Gestalt Psychologie, publié en 1929 par le psychologue Wolfgang Köhler. Dans cet ouvrage, l’auteur instigue deux catégories formelles à partir de deux formes : l’une ronde appelée « maluma », l’autre anguleuse appelée « takete ».
Les deux figures ci après illustrent les catégories de Köhler.
Maluma
Bien que les dénominations ne veuillent a priori rien dire, l’association signifiant-signifié n’apparaît jamais arbitraire : « La plupart des sujets interrogés associaient le nom « takete » à la forme angulaire et « maluma » à la forme arrondie. Fait intéressant, les sondages postérieurs ont toujours confirmé cette association, et ce, quels que soient la langue, la culture ou le milieu des sujets interrogés. […]. En tout état de cause, l’expérience de Köhler a montré que lorsqu’on parle en architecture de formes takétiennes et malumiennes, il est pratiquement certain que la plupart des individus sauront de quoi il s’agit, quels que soient la période ou le lieu de référence. » (Carpo, 2003 : 98).
Carpo relit ensuite l’histoire de l’architecture moderne à l’aune de ces deux catégories, avant de se concentrer sur les années 1990. Le tableau ci-après ordonne les édifices intuitivement classés par Carpo suivant leur contexte historique – en ligne – et les registres de forme de Köhler – en colonne.
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édifices takétiens |
édifices malumiens |
modernité |
Bauhaus de Dessau (W. Gropius)Seagram Building (L. Mies van der Rohe) | tour Einstein (E. Mendelsohn)terminal TWA (E. Saarinen) |
années 1990 |
bâtiments de R. Koolhaas |
musée Guggenheim de Bilbao (F. O. Gehry) plis et blobs géométrie topologique |
Pour citer cet article
Anne-Sophie Delaveau, « S comme Smoothy », DNArchi, 21/03/2012, <http://dnarchi.fr/culture/s-comme-smoothy/>
[1] Mario Carpo, « L’architecture à l’ère du pli », L’Architecture aujourd’hui n°349, nov-déc 03, pp. 98-103.
[2] Wölfflin s’est attelé à constituer cinq couples conceptuels destinés à décrire les changements formels dans l’histoire de l’art occidental. Ce n’est donc pas tant un style en particulier que l’historien Wölfflin souhaite décrire, que le passage d’un style à l’autre. A cette fin, il a constitué ces cinq catégories : « 1. le passage du linéaire au pictural […] 2. Le passage d’une représentation par plans à une représentation par profondeur […] 3. Le passage de la forme fermée à la forme ouverte […] 4. Le passage de la pluralité à l’unité […] 5. La clarté absolue ou la clarté relative des objets présentés. »
Heinrich Wöllflin, Principes fondamentaux de l’histoire de l’art, le problème de l’évolution du style dans l’art moderne (1915), Gérard Monfort, Paris, 1992, rééd. 2002. Trad. Claire et Marcel Raymond. p. 11-12