ArchiCamp Lomé : Atelier de conception de co-workingspaces en Afrique

Auteur : Sénamé Koffi Agbodjinou _

DOI : https://doi.org/10.48568/h4wp-0s38

Le propre des époques troubles est, du milieu de l’antagonisme des principes, de provoquer parfois le surgissement de quelque contradiction étonnement heureuse. L’une est, aujourd’hui, que la personne certainement la plus proche du paysan somba des crêtes de l’Atakora (archétype de l’homme du sud écrasé de contemporaneité) est le geek du MIT (figure on ne peut plus caricatural de l’égotique occidental). Eux seul, en vrai, parlent encore chacun un langage que l’autre peut comprendre… et qui se peut décliner en ces quelques termes: partage, entraide, autonomie, économie de moyens etc. Eux seuls, en vrai, ont leur vie vouée à l’indépendance. C’est en tout cas aujourd’hui notre intuition, et nous avons initié l’archiCamp pour révéler cette proximité. L’architecture – en ce qu’elle pourrait entretenir simultanément des liens de commensalité avec  la ‘terre’ et le numérique – se trouve, de cette démarche, le médium.

Poster ArchiCamp 2012, source: http://www.lafricainedarchitecture.com/archicamp.html © A. McConnell

Nous devinons des correspondances entre ce qui est à l’œuvre dans les idéologies opensource et du hacking et l’éthique d’une certaine architecture modeste et située. Ces rapprochements sont ainsi assumés et devront – au travers d’un workshop dont les attendus sont autant anthropologiques qu’architecturaux – être creusées. L’occasion est une tentative d’imagination d’espaces de travail collaboratif en Afrique, prenant pour terrain test la ville de Lomé (capitale du Togo). Cependant la commande est moins un prétexte que la formalisation d’un besoin parfaitement incarné par l’association ‘Nativ (New African Technologies of Information and Vitality). Nativ est une plateforme visant à favoriser une synergie parmi blogueurs, passionnés et autres acteurs africains du numérique et pour la promotion des TICs. Une stratégie de documentation passant par des blogcamps et la collecte de données par les sessions de « Récit Urbain », fini de construire l’ambition de mobiliser tous les possibles du numérique au service de la production de la ville.

Retour sur l’initiative

L’Africaine, association loi 1901 prônant une exploration originale de l’architecture et de la ville africaines, s’est jusqu’ici trouvée préoccupée d’’humanitaire’. Elle aspire à prendre quelque distance avec la suggestion classique et rompre avec ce qui paraît le fruit de lectures surannées d’Hassan Fathy[1] : ces perceptions du projet durable en Afrique mobilisant exclusivement le matériau terre et généralement dans un paradigme quasi essentialisant ; aveugle aux crises, aux mutations et aux dynamiques. L’ambition écoprospective de l’Africaine, qui revendique d’être critique de la fixité sclérosante de l’approche exotique des ateliers qui ont l’Afrique pour terrain, a trouvé un écho favorable en ‘Nativ.

Les questions qui traversent la communauté virtuelle de ‘Nativ’, au delà du souci de se constituer des lieux dédiés et de rencontre dans le réel, sont celles de leur implication dans la vie de la cité : Qu’apportent  des espaces de mobilisation collective autour du numérique en termes d’insertion, d’égalité des chances ou de partenariats avec  des acteurs locaux? Quelles nouvelles modalités d’intervention blogueurs et autres cyberactistes peuvent-ils mettre en œuvre dans la ville ? Comment agir sur le réel quand son outil est le virtuel ? 

Ainsi pour Nativ l’enjeu est très précisément d’appréhender la façon dont bloguer peut participer de la création de la ville et donner forme au futur.

Le dynamisme du secteur du numérique dans la capitale togolaise justifie pour les deux plateformes (Nativ et l’Africaine), la tenue d’un camp visant à penser et mettre en place de nouveaux lieux : hubs, makerspaces, hackerspaces, fablabs, hacklabs, tech-incubators, villas numériques et autres espaces de rencontre, d’émulation et de travail autour du numérique et des TICs.

La problématique de l’archicamp. Elle serait double. D’un coté elle interrogera le recours aux nouvelles technologies pour aller vers une architecture mobilisant des savoir-faire et matériaux disponibles localement et  aux mises en œuvre peu coûteuses. De l’autre elle évaluera si la volonté de coller à des ressources indigènes reste pertinente pour penser des ouvrages dédiés au numérique et ses univers. En filigrane, peut transparaitre la question de la compatibilité ‘green’ et high- tech… et s’il se forme un nœud-là, le projet du hacking, nous semble-t-il, en est la clef.

ArchiCamp ? Il s’agit d’un atelier de prospective. Des étudiants architectes et de disciplines périphériques, des écoles africaines et du monde, travailleront avec des passionnés de nouvelles technologies pendant trois semaines, pour penser le co-working. Trois équipes pluridisciplinaires pour trois sites[2] seront mises en concurrence. En contact avec les ‘Techies’ (passionnés et autres acteurs du numérique) de la capitale, elles élaboreront des propositions d’implantations et de formes pour ces nouveaux lieux de Lomé, dans une approche innovante d’éco-projet responsable intégré à la ville. Une quatrième équipe assurera la permanence d’un fabLab[3] (installé pour l’occasion) pour accompagner technologiquement le rendu des ‘campeurs’. Cet atelier Lab répondra exclusivement aux sollicitations privilégiant un usage de matériaux du cru (auxquels seront préalablement formés les campeurs).

De fait, le programme s’organise comme suit :

  • semaine 1 : introduction au contexte avec un cycle de conférences sur la ville, les communautés du numérique et les architectures traditionnelles;
  • semaine 2 : acquisition des outils avec des ateliers intensifs d’initiation à la fois aux techniques locales et aux nouveaux moyens que sont le prototypage rapide et le logiciel libre ‘Blender’.
  • Semaine 3 : intensif de projet.

Ce programme sera ponctué d’explorations poussées de Lomé et d’excursions dans les terres à la découverte de pratiques originales du bâtir dont certaines sont au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Le but de l’ArchiCamp est en effet de mixer la vision prospective et internationale des échanges à une sensibilité à la simplicité et au vernaculaire. L’ensemble des travaux sera mené selon des méthodes de créations collaboratives issues des technologies OpenSpace (OST) et des barcamps. Nous ne pourrons évaluer qu’in situ la portée de cette démarche où blogueurs et makers visent à être acteurs du projet tout autant  que les architectes, en effet les modalités esquissées ici sont susceptibles d’être amandées par le contexte.

Le camp aura lieu du 22 Juillet au 12 Août 2012 à Lomé (Togo), plus d’informations pratiques sont présentées sur le site de ‘l’Africaine d’Architecture : http://www.lafricainedarchitecture.com/archicamp.html

Poster ArchiCamp 2012, source: http://www.lafricainedarchitecture.com/archicamp.html © Redler

Pertinence de la démarche

Le système D est l’ancêtre naturel du hacking ; en ce sens les africains sont un peu nos pères à tous ! »

Maurin Donneaud

Via la tradition du ‘système D’ répandue sur le continent, l’ArchiCamp se situe entre le hacking et l’autoconstruction. Au delà, il s’agit de donner à voir que, de plus en plus, les associations négatives des nouvelles technologies (individualisme, gaspillage, pollution, consumérisme) peuvent être relativisées par la tension éthique travaillant l’existence de jeunes personnes participant de l’épopée numérique.

De la solidarité : Dans les valeurs de l’entraide (la propriété collective, la publication du code etc.) un  sens commun travaille la société de tradition et la culture geek. Communauté contre société : corollaires de la mondialité ; le repli, l’enfermement et donc la relative mise à distance du proche, favorisés par l’écran, masquent un engagement d’époque qui s’exprime au travers un surinvestissement dans le lointain. Préfigurant ces solidarités nouvelles, en tant qu’espace dédié, au cœur de la médiation entre le proche et le lointain, on cherchera à cerner comment le hub africain cherche son équilibre. L’urgence et le futile : si le maker en vient à se reconnaître dans cette ingéniosité du ‘petit’ et la débrouillardise caractéristique des grandes villes africaines il faut rappeler que lemoteur ici en est la pauvreté. Il ya donc des niveaux d’exigences à observer dans le détournement et le réemploi…

Les retombées pour l’architecture et la ville sont à trouver dans la construction d’une approche innovante des espaces de co-working, respectueux de l’environnement et mieux intégrés dans la société. Cette approche est mue par une forte volonté de prendre en charge le réel. Ainsi pour sélectionner les sites qui serviront de support à la réflexion, ‘Nativ a, imaginé un concours de reportage urbain sur les problèmes qui se posent à la ville. Nos coworkingspace, au delà du simple rôle de lieu de mobilisation et de ressources, devront intégrer aussi le souci, grâce aux témoignages remontés, et palier des carences bien ciblées. « On pourrait imaginer par exemple des hubs qui serviraient aussi et accessoirement de centre de traitement de déchets urbain, de passerelles pour répondre à l’inondation ou de lieu de détente ponctuel pour des enfants de la rue… » Toutes les audaces programmatiques sont donc admises.

Par là peuvent être esquissés de nouveaux apports du numérique à la profession, problématique internationale.  De plus, la problématique du ‘recyclage’, amenée par Maurin Donneaud, nous réintroduit dans le contexte en nourrissant l’utopie. Ainsi les nouveaux non-lieux où la ville africaine semble subir de plein fouet la mondialisation- à l’exemple de la décharge informatique de la banlieue d’Agbogbloshie au Ghana, véritable dépotoir à l’échelle du quartier – peuvent être abordés comme de potentiels leviers d’un développement inattendu.

Si donc, d’une part, le paysan, le maçon traditionnel ou encore le ressourcier africain, et, d’autre part, le hacker sont pareillement ‘makers’, l’ambition ici est de les faire se rencontrer.

Notre appropriation de la proposition de hight-low-tech de Leach Buechley[4] nous permet de prendre en charge ce projet. Mais il s’agit ici d’opérer à rebours de Leah Buechley en investissant le projet de la conscience d’une urgence. Le contexte nous fait ici, en effet, la violence de nous astreindre à la recherche d’applications plus ‘sérieuses’ que la production de porte-clés. Aussi ArchiCamp sera peut-être l’occasion d’interroger la possibilité d’un ‘Low-High-Tech’, version alternative de cet étrange mariage, tournée vers des applications vitales.

 

Pour citer cet article

Sénamé Koffi, « ArchiCamp Lomé : Atelier de conception de co-workingspaces en Afrique », DNArchi, 02/05/2012, <http://dnarchi.fr/pedagogie/archicamp-lome-atelier-de-conception-de-co-workingspaces-en-afrique/>

 


[1] Hassan Fathy, Construire avec le peuple (1970), véritable plaidoyer d’une certaine approche du ‘réemploi’… en l’occurrence celui des techniques antiques de voûtes et coupoles nubiennes.

[2] Le partenaire africain a pris le parti de la mobilisation et de la sensibilisation de la blogosphère par le biais de concours de reportage devant permettre d’identifier des sites pertinents pour la projetation. (http://ong-nativ.org/2012/04/les-guides-de-larchicamp-sont-connus/) C’est une dimension démocratique en plus à ces futurs projets  qui seront présentées à la Mairie, aux acteurs locaux et aux bailleurs,… et permettre par là de juger de la capacité de la communauté à faire du lobbying

[3] Maurin Donneaud (Usinette/Blackboxe, Paris) et Mamadou Diagne (Dofbi, Dakar) auront la charge de la configuration de ce Lab de proximité qui devrait continuer à fonctionner pour la quartier, après le camp. Cette initiative permet d’apporter au public africain et mettre à disposition des machines comme la reprap et la découpe laser, avec le souhait qu’ils soient saisis comme levier pour transcender les ressources propres du lieu.

[4] Assistant Professor au MIT, Leah Buechley apparaît dans le milieu hacker comme l’instigatrice ou du moins la théoricienne du High-Low-Tech, dont elle dirige le Research Group au sein du Media Lab, Censé  valoriser l’exploration de « l’intégration du High & low, dans des perspectives culturelles, matérielles, avec pour horizon un engagement des populations dans le développement de leur propre technologies, » les investigations de Buechley  n’ont abouties pour l’instant qu’à la production de cahiers interactifs lumineux et autre bracelet musical.

 

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