Auteur : Philippe Boudon_
DOI : https://doi.org/10.48568/xbpr-0866
On peut trouver dans l’article de Joël Onorato « Chasser le naturel » (criticat 13, 2014/printemps, p 54-69) une excellente critique du scientisme de la neuvième édition d’Archilab à Orléans : « Naturaliser l’architecture ». Le chapeau de l’article en indique le sens : « Alors que les sciences humaines nous invitent plutôt à dénaturaliser tout phénomène qui se présenterait comme une fatalité, la dernière édition d’Archilab consacrée à l’actualité du numérique, proposait au contraire de « naturaliser l’architecture ». Que penser des visées et des contradictions de ce projet qui anime une importante institution culturelle dédiée à l’architecture, le Frac Centre ? ».
Joël Onorato critique à juste titre les confusions qui sous-tendent l’exposition et sa présentation et s’interroge sur le caractère « théorique » ou « rhétorique » de sa présentation. « Archilab laisse planer le malentendu. (…) Volontairement ou non, Migayrou entérine la croyante diffuse, le mythe, de la validité universelle des modèles scientifiques et oublie que ceux-ci sont contingents. Réponse à une question, un modèle dépend d’un cadrage sur le réel et d’une série de choix : variables, modes de quantification, hypothèses de modélisation. Prenons l’exemple de l’optimisation mathématique. Contrairement à ce que semblent croire les architectes dits « paramétriques », une optimisation n’est jamais objective et dépend du choix de ce que l’on veut optimiser et de la façon dont on le quantifie. » On retrouve là le problème récurrent du rapport des mathématiques au réel, d’un cadrage sur le réel qui peut prendre parfois le nom d’échelle, et qui se pose particulièrement dans le cas de l’architecture dite paramétrique. Dans « Naturaliser l’architecture » Migayrou parle en effet de « L’accès à de nouveaux langages de conception, à des algorithmes fondés sur les automates cellulaires » ainsi que de « l’accès au Scripting et au code, irriguant aujourd’hui une nouvelle génération d’architectes qui ont déjà gommé les frontières entre architecture, physique et biologie pour inventer des schèmes d’interactions entre formes et matériaux, entre minéral et organique, entre processus de construction et croissance ». Selon Joël Onorato les propos de F. Migayrou qui plaide pour une « phénoménologie naturalisée » dialoguant avec les sciences modernes viserait à « renouer avec la pluridisciplinarité perdue ».
La confusion d’une prétendue « révolution épistémologique où se répondent architecture et sciences au sein du champ computationnel » fut justement pointée à Orléans par les scientifiques et épistémologues présents lors de la seconde journée du colloque organisé à cette occasion, Giuseppe Longo, Annick Lesne et Franck Varenne : « ces scientifiques, écrit J. Onorato, ont simplement rappelé que les modèles doivent être utilisés avec prudence, en explicitant le cadre d’étude et les hypothèses ». Question d’échelle dirai-je encore, dont J.-L. Le Moigne avait bien vu que « le caractère est fondamental en architecturologie et le serait donc en modélisation en général », et, pourrait-on ajouter aujourd’hui, dans le cas de l’architecture paramétrique en particulier.
Ainsi l’attitude scientiste de cette édition d’Archilab, selon l’expression de J. Onorato, est-elle critiquée d’abord par les scientifiques eux-mêmes. Quant à la présentation du dossier de criticat consacré au thème « les architectes et l’informatique » dans lequel figure l’article de J. Onorato souligne très justement que « les architectes entretiennent des rapports ambigus avec l’informatique, lesquels vont de la méfiance à l’euphorie ou à l’indifférence ».
Ni méfiante, ni euphorique, ni indifférente est la thèse d’Aurélie de Boissieu qui vient d’obtenir un Prix de la meilleure thèse de l’Académie d’Architecture. Nulle louange ni rejet des « architectes dits paramétriques » (Onorato p. 68) mais plutôt une étude disciplinée de la « Modélisation paramétrique en conception architecturale : Caractérisation des opérations cognitives de conception pour une pédagogie », selon son titre. En ce moment de notre Histoire où il pourrait être question, comme l’indique le titre du livre d’Emmanuel Davidenkoff de Tsunami numérique (Stock 2014) qui souligne que l’enseignement du secondaire et du supérieur est concerné par une nécessaire réinvention de l’éducation, l’enseignement de l’architecture ne peut espérer échapper au tsunami en question sans aller y regarder de près, scientifiquement plutôt que scientistement, théoriquement plutôt que rhétoriquement, sans méfiance et sans euphorie non plus, du côté des usages de l’informatique comme le fait Aurélie de Boissieu dans une perspective pédagogique qui a notamment intéressé le jury de l’Académie d’Architecture qui lui a donné ce prix, lequel lui sera remis le 20 mai prochain.