Auteur: Caroline Lecourtois_
DOI : https://doi.org/10.48568/dwfz-me94
S’il est d’usage d’accorder à nos ordinateurs le rôle d’assistant de nos tâches, il est moins courant de s’interroger sur les manières dont ce rôle est joué relativement à ces tâches. On sait par exemple qu’un instrument de traitement de texte oriente l’organisation et la mise en page d’un texte, mais on ne sait guère dans quelle mesure il assiste son utilisateur dans l’acte d’écriture lui-même. Peut-on dire qu’un tel instrument assiste le travail cognitif d’écriture proprement dit ? Certains témoignages d’écrivains pointent le rôle moteur de l’instrument dans leur pratique et prônent l’indissociabilité de l’un pour l’autre (« je ne sais plus écrire à la main sur du papier » « sans mon clavier, je suis perdu… sans mon écran je ne sais plus écrire »). Rien n’empèche donc de penser qu’il n’y ait assistance… mais de quoi parle-t-on sous le vocable d’ « assistance » ?
En architecture, on parle naturellement de Conception Assistée par Ordinateur (CAO), sans bien savoir ce que cet Ordinateur fait pour assister la conception. On désigne par CAO, l’ensemble des instruments informatiques dédiés à l’architecture ainsi que le processus de conception architectural mené via l’usage de ces instruments. A bien l’interroger, la CAO ne va pas de soi…et, l’ACO, l’Assistance à la Conception par l’Ordinateur, est bien mal connue.
Il est un fait, en architecture comme ailleurs, l’ordinateur a investi nos vies et nos modes de penser. Il est devenu pratique, indispensable voire incontournable mais il nous reste à savoir dans quelle mesure il nous assiste.
Pour éclairer cette question, on peut, dans un premier temps, se demander ce qu’il assiste.
Dans le cas de la CAO, l’objet assisté est posé comme étant la Conception. En conséquence, poser l’existence de la CAO ou de l’ACO consisterait à attribuer à un ordinateur des aptitudes à assister cette tâche mentale : la conception.
Poser la question de savoir si les instruments de CAO seraient aptes à assister la conception, consiste, selon moi, à interroger les manières dont un ordinateur assisterait les opérations cognitives qui la constituent.
A observer les instruments classiques de CAO, ces manières porteraient ou s’appuieraient essentiellement sur le dessin d’architecture. Tels des instruments de traitement graphique, ils assisteraient donc l’acte pratique de représentation plutôt que les opérations cognitives de la conception. On ne peut néanmoins dissocier cette assistance de la conception pour la raison, qu’en architecture, la représentation graphique est, elle-même, outil de conception (Pousin et Boudon 1988). La question demeure donc de savoir comment par l’intermédiaire de l’assistance à la représentation, les instruments de CAO assistent la conception ?
Autrement dit et en conséquence, interroger l’assistance à la conception par des ordinateurs consiste à interroger les usages de ces ordinateurs (en outre d’observer leurs fonctionnalités) dans le cadre de la conception et, à pointer leurs implications plus ou moins directes sur les opérations cognitives. Cette assistance dépendrait ainsi de l’usage d’un instrument et non de l’instrument seul.
Or, utiliser un instrument en vue de s’aider à quelque tâche consiste à le convertir en outil (W. Köehler 1927). Cette conversion, si elle est rendue possible grâce à certains attributs de l’instrument, procède essentiellement d’un acte raisonné. Autrement dit, quel que soit l’instrument utilisé, CAO ou autre, celui-ci est potentiel outil d’assistance mais ne peut, en soi, être outil d’assistance. L’assistance n’existerait que relativement à un acte raisonné et dépendrait ainsi de l’utilisateur. Elle n’existe donc en soi et n’a nulle raison d’être unique.
Reste donc à cogiter sur les assistances existantes ou possibles des outils de CAO….
Pour citer cet article
Caroline Lecourtois, « CAO : assistance(s) et outil ? », DNArchi, 27/12/11, < http://dnarchi.fr/outilsnumeriques/cao-assistances-et-outil>
Bibliographie
Philippe Boudon, Conception, Editions de la Villette, 2004
Wolfgang Köhler, L’intelligence des singes supérieurs (traduction française par Guillaume P.), Alcan Félix, 1927.
Caroline Lecourtois, Conception de l’espace et espace de conception, TIGR, Nouvelles approches de l’espace dans les sciences de l’homme et de la société, Institut de Géographie de Reims, 2006.
Philippe Boudon, Frédéric Pousin, Figures de la conception architecturale, Dunod, 1988.