ALGODE 2011 : possibilité d’une singularité japonaise

Auteur: Joaquim Silvestre_

DOI : https://doi.org/10.48568/b9jc-7k47

Origamis architecturaux et Tachikoma

Les pliages de Tomohiro Tachi

ALGODE 2011 – ALGOrithmic DEsign

Aux côtés d’eCAADe et ACADIA, un nouveau rendez-vous sur la question du design et du numérique pointe le bout de son nez. Après quelques péripéties sismiques, ce colloque international s’est tenu à Tokyo les 13 et 14 novembre derniers.

Originellement prévus pour les 14, 15 et 16 mars 2011, les organisateurs ont dû annuler au dernier moment cet événement qui faillit être mort-né. Mais c’était sans compter la ténacité des organisateurs japonais qui ont reconstruit et maintenu ce symposium malgré de nombreuses défections dues à la « situation sanitaire » ou au changement de planning. Ces défections ont néanmoins donné un aspect moins international au symposium que celui prévu originellement. Les participants qui ont fait (ou refaits) le déplacement étaient les plus motivés et le plus souvent des Japonais travaillant à l’étranger. D’une certaine façon, c’était un symposium internationalement japonais.

Le comité scientifique du symposium avait choisi d’étendre l’événement au-delà des cercles universitaires. Ainsi, il y avait aussi bien des chercheurs, des enseignants (praticiens ou non), des superstars tout comme de jeunes architectes un peu isolés, ainsi que des programmeurs œuvrant dans l’ombre de grandes agences telles que Morphosis ou Jakob+MacFarlane.

Ce rendez-vous était l’occasion de partager un intérêt pour la question algorithmique et de s’interroger sur la possibilité d’une spécificité japonaise dans l’approche des problématiques soulevées par l’usage de la computation dans la conception.

Je craignais que la mondialisation intellectuelle, globalisant et orientant les questionnements, ait gommé une telle spéciation des approches ; une spéciation que l’on peut imaginer analogue à la spéciation des espèces dans la théorie de l’évolution. Et en effet, dans la diversité des papiers présentés, il fallait rester éveillé pour reconnaitre une altérité ; une approche, un détail que l’on n’a pas déjà vus ou entendus quelque part. Un « c’est dans l’air », un esprit du temps que j’aurais aimé ne pas retrouver dans des contrés et des cultures si éloignées.

Comme exemple assez symbolique, nous avons Tomohiro Tachi «origami man». Une parfaite maitrise des origamis (je conviens que nous sommes ici aux confins du cliché sur la culture japonaise) lui permet de programmer un outil qui propose des pliages d’une simple feuille de papier pour parvenir à produire les formes les plus tricky. Qui plus est, ces formes peuvent se replier sur elles-mêmes de façon astucieuse.

Pour dresser un aperçu de la diversité des présentations, nous pourrions établir un spectre avec d’un côté le « pur produit d’une pensée algorithmique japonaise répondant au standard scientifique» (tel que la présentation de Tomohiro Tachi cité ci-dessus) et à l’opposé du spectre des présentations, une étudiante de Pratt qui présente son projet de fin d’année sans aucune problématique. Oui, elle a utilisé un ordinateur et elle a utilisé Mathematica, mais est-ce pour autant du design algorithmique ? Elle n’a fait référence à aucun algorithme et n’a pas pris de recul sur sa démarche. Elle n’a présenté que des images et expliqué les intentions de ses projets.

Cette dernière présentation est quelque peu symptomatique d’une sorte de faiblesse de ce « jeune » symposium. Le comité scientifique ne semble pas avoir été très sélectif sur les papiers. Mais peut-être que, s’il avait été plus exigeant, s’en tenir drastiquement aux questions algorithmiques aurait transformé ce Symposium international en séminaire régional très fermé. Il y avait donc de très bonnes choses, d’autres un peu hors du contexte scientifique, mais dans le « thème » et d’autres qui n’avait rien avoir avec l’objet du colloque.

La diversité de thème et de niveau des publications rend ce symposium assez compliqué à résumer. Le programme est là pour vous en convaincre. Néanmoins, je propose une taxinomie expéditive des présentations :

  • Ceux qui proposaient de nouvelles interfaces pour interagir avec la machine.
  • Ceux qui montraient leur appli d’ingénierie maison.
  • Ceux qui revendiquent un dogme de la pratique computationnel.
  • Ceux qui simulent tout ce qu’ils peuvent.
  • Ceux qui font de la déco compliqué avec du script.
  • Ceux qui racontent leur vie et leurs projets.
  • Ceux qui montent des théories.
  • Ceux qui font du print to factory.

Pour conclure, un florilège de brèves descriptions des présentations qui m’ont le plus interpellé.

/// Designing One-DOF Mechanisms for Architecture by Rationalizing Curved Folding, Tomohiro Tachi

Pour anticiper le développement de pliages visant à définir une forme a priori et pour obtenir les lignes de pliages sur une feuille. http://www.tsg.ne.jp/TT/cg/

/// Designing User Interface for Algorithmic Design, Yoshiaki Mima

Propose un canevas de conception visuelle créative. C’est une sorte de Processing plus limité, mais plus intuitif. http://www.sketch.jp/index_e.html

/// Comparison between Top Down and Bottom Up Algorithms in Computational Design Practice, Satoru Sugihara

Satoru Sugihara est « Computational designer » chez Morphosis. Il a présenté essentiellement son support de cours et la librairie pour Processing qu’il a développée. Celle-ci est en quelque sorte le chainon manquant entre Processing et Rhino : http://www.igeo.jp

/// Analyzing Spatial Complexity within the Neighbourhood of Visual Cognition, Yasushi Sakai

Yasushi Sakai présentait une méthode d’analyse de l’espace adaptée au processus computationnel. La relation entre les espaces est définie par un code binaire qui quantifie de façon discrète les relations de visibilité entre les espaces. Une analyse pertinente pour le développement futur d’un algorithme pour gérer l’échelle de visibilité d’un édifice.

/// Structure as Distribution, Sawako Kajima

Sawako Kajima nous a présenté un programme fait maison (comprenez : n’espérez pas trouver un lien pour les télécharger) de bonne facture. Ce programme fut développé pour répondre essentiellement à des préoccupations d’ingénieries sur les questions structurelles, ainsi que l’optimisation des formes. Celui-ci est l’aboutissement d’un questionnement sur l’efficacité structurelle des gesticulations formelles autorisée par les logiciels de modélisation généralistes. Les solutions proposées par le programme n’ont rien de vraiment surprenant, mais c’est surtout l’aspect pédagogique qui constitue la grande force de l’application. La logique de fonctionnement assez explicite pour constituer un support pédagogique. Quand le programme tourne et résout des contraintes structurelles, on comprend comment il procède. Les logiques suivies deviennent intuitives.

/// Permutation architecture, Kostas Terzidis

Kostas Terzidis nous présentait ses dernières recherches sur une conception par permutation. Ici, on retrouve d’anciens problèmes d’allocation spatiale automatisée qu’il propose de résoudre par recherche stochastique. La définition d’une règle de ce que doit être un bon agencement permet de valider les bonnes combinaisons d’orientation et de localisation des espaces.

La façon de poser le problème soulève deux questions :

  • Pour énumérer les agencements, il faut pouvoir les discrétiser. Quelle méthode pour discrétiser l’agencement spatial ? Par exemple, la méthode d’analyse de la relation de visibilité entre les espaces qui est proposée par Yasushi Sakai.
  • Pour valider les agencements, il faut définir les règles d’un bon agencement. Le problème architectural ainsi déplacé, comment définir un bon agencement spatial ?

Malgré tout, cette présentation illustrait bien la différence de nature qui est défendue dans ce symposium avec une tendance que je nommerais : « la dictature du concepteur sur ses machines ».

/// INDUCTION/ ALGORITHMIC : two names for the same process, Makoto Sei Watanabe

Makoto Sei Watanabe fait figure de pionnier (et il tient à le rappeler) dans le domaine de la computation au Japon. La présentation narrait la chronologie et l’évolution des intentions à travers ses travaux. Là encore pas vraiment de propos précis, mais on subodore dans l’évolution de ses différents travaux une volonté d’entretenir un autre rapport avec la computation. http://www.makoto-architect.com/KEIRIKI-1/Keiriki1_4e.html

 

Pour citer cet article

Joaquim Silvestre, «ALGODE 2011 : possibilité d’une singularité japonaise», DNArchi, 11/01/2012,<http://dnarchi.fr/pratiques/algode-2011-possibilite-dune-singularite-japonaise/>

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