Figures “vicariantes” de signes de la conception architecturale

Auteur : Philippe Boudon
DOI : https://doi.org/10.48568/s7yc-6192

[Cet article propose un cadre d’analyse des représentations architecturales et de leur rôle dans la conception. L’auteur s’appuie sur des concepts sémiotiques pour décrire comment les architectes mobilisent des signes qui peuvent être tantôt compris comme symboliques, tantôt comme iconiques. Cette analyse qui s’applique à des cas architecturaux historiques, semble également permettre une interprétation des manipulations symboliques qui ont lieu à l’ère du numérique.]

Mots-clés : sémiotique, représentation, science de la conception, paramétrique

Récemment, lors d’un colloque, l’architecte polonais Thaddée Nowak présentait une diapositive montrant une boîte de graphos à côté d’un ordinateur, puis poursuivait en évoquant les outils de l’architecte de toute une génération : té, équerre, perroquet, planche inclinée etc.. Il terminait son exposé par une représentation de type BIM. Ceci résume à merveille le passage des outils de l’architecte du XXème siècle à ceux du XXIème que vit la profession d’architecte aujourd’hui. Mais qu’en est-il de cette situation du numérique dans laquelle la conception architecturale se trouve plongée ? Il conviendrait au moins de tenter de décrire, autant que possible, cette situation. Avons-nous pourtant les outils conceptuels qui nous le permettent ? Plusieurs auteurs se sont attachés à une telle description – je pense à Antoine Picon [1] ou à Mario Carpo [2] – mais le point de vue de cette note se veut différent en procédant à un examen ponctuel de nature sémiotique de la question du numérique. Mon hypothèse sera celle-ci : qu’il s’agisse de dessin – à main levée, au té et à l’équerre ou de représentation sur ordinateur, ou de representation de type BIM, peu importe – nous avons dans tous les cas affaire à des signes. S’ensuit qu’un minimum d’investigation s’impose du côté de la sémiotique.

Plus précisément il s’agira ici de considérer, à la lumière de quelques concepts de ce domaine, la possibilité d’introduire la notion de vicariance qui a donné lieu à l’ouvrage éponyme du psychologue Alain Berthoz [3]. Plus précisément encore, il sera question de vicariance de signes, thème que n’aborde pas l’ouvrage de l’auteur en question. L’objet de cette note sera donc d’examiner la possibilité que puisse entrer en jeu, s’agissant de manipulation des signes, – en laquelle consiste pour partie la conception architecturale – une fonction vicariante sémiotique, qui la distingue, naturellement, du sens mathématique que peut recouvrir cette expression.

Je commencerai donc par rappeler le sens de la notion de vicariance telle qu’a pu l’exposer Alain Berthoz (I); puis je rappellerai les catégories de signes distinguées par Charles Sanders Peirce (II); j’en viendrai ensuite à la possible vicariance des signes, objet de mon propos (III) et terminerai en conclusion par exprimer la thèse de l’hybridité iconico-symbolique des représentations architecturales (IV). S’agissant de la notion de vicariance elle a été récemment mise en évidence par l’ouvrage d’Alain Berthoz et s’inscrit donc d’abord dans l’ordre de la psychologie. Mais elle sera étendue ici à la sémiotique, science des signes qui trouve ses origines du côté du pragmatisme, cette philosophie américaine dont la fondation par Charles Sanders Peirce a ensuite donné lieu aux travaux de William James et de John Dewey.

(I) Vicariance

On sait que le mot vicaire désigne, du côté de la religion catholique, le nom de quelqu’un qui prend la place du curé. La vicariance n’est pas autre chose que cette idée que quelque chose puisse prendre la place de quelque chose d’autre, ou remplir la fonction de quelque autre chose. On notera que j’assimile ici le fait de prendre la place de et celui de remplir la fonction de. Cela ne devrait pas poser de problème, tant il est possible d’indiquer remplir la fonction de par la métaphore prendre la place de ou encore, plus simplement, remplacer.

Toutefois on notera au passage que remplacer peut être entendu en un sens spatial ou en un sens métaphorique. Ainsi le vicaire est quelqu’un qui remplace le curé de deux façons qu’il convient de distinguer au moins conceptuellement : il le remplace dans sa fonction, et il le remplace à l’église, c’est-à-dire en un espace donné, à un moment donné. Soit une dualité que je laisserai cependant de côté ici pour m’attacher à la vicariance des signes qui me paraît porter à examiner la question de savoir si la conception numérique peut prendre en charge une telle fonction dans quelque logiciel ou si, à l’inverse, elle constitue pour elle un obstacle.

Dans son ouvrage Alain Berthoz fournit quantité d’exemples de vicariance dans bien des domaines. Certains sont assez banals, d’autres assez surprenants. Je pense au cas d’Henri Poincaré rappelant que lorsqu’une goutte d’acide est déposée en un point de la peau d’une grenouille, celle-ci cherche à essuyer l’acide avec sa patte la plus proche. Si cette patte est amputée, elle l’enlève avec l’autre patte. Un tel exemple de vicariance a quelque conséquence puisque Poincaré en tire la conclusion, soulignée par Alain Berthoz [4] : “l’espace, c’est cela !” …

(II) Sémiotique

Après la vicariance, passons à la sémiotique. Pour dire les choses brièvement, il existe deux voies de développement de la sémiotique, l’une, issue de la linguistique de Saussure, non développée par lui mais par d’autres, au premier chef A. Greimas. L’autre voie a été développée par Charles Sanders Peirce [5], philosophe, logicien, mathématicien, tenu pour être le père du pragmatisme, une lignée philosophique américaine qui sera poursuivie par un William James ou un John Dewey [6]. C’est surtout en tant que père de la sémiotique que Peirce nous intéressera ici.

Chez Saussure l’origine de la proposition d’une sémiologie – qu’il n’a pas développée lui-même – peut se lire dans ces mots qui terminent son Cours de linguistique générale : « On peut donc concevoir une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale ; elle formerait une partie de la psychologie sociale et par conséquent de la psychologie générale ; nous la nommerons sémiologie (du grec semeion, « signe). Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent »[7].

Or voici la définition du signe chez Peirce : « Un signe, ou representamen, est quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose à quelque égard ou en quelque qualité » [8]. Que le signe tienne lieu de quelque chose, c’est bien le cas chez Saussure qui associe, dans le signe, un signifiant et un signifié, ce qui pourrait déjà nous suggérer l’idée de vicariance à l’endroit du signe lui-même, tel que défini par Saussure comme unité à deux faces, signifiant et signifié. Le signifiant prend la place d’un signifié, pourrait-on dire. Mais en ajoutant « à quelque égard » Peirce introduit un troisième terme. Pour aller vite, on admettra que le signe est binaire chez Saussure, tandis qu’il est triadique chez Peirce [9]. Cette triadicité procède des trois catégories de la philosophie de Peirce qui sous-tendent sa sémiotique, ainsi que, par suite, sa distinction de signes la plus courante sur laquelle je m’appuierai, qui distingue signes iconiques, signes indiciels et signes symboliques. Ces trois types de signes procèdent en effet des trois catégories que sont : la priméité, catégorie du possible ; la secondéité, catégorie du réel ; la tiercéité, catégorie de la pensée, de la loi. Ce n’est évidemment pas le lieu de les développer ici. Mais on conviendra que cette distinction entre signes iconiques et signes symboliques puisse a priori être de quelque importance pour le sujet qui nous occupe, dès lors que le dessin, entendu comme mode de représentation traditionnel de la conception architecturale, se présente plutôt comme ensemble de nature iconique tandis que le numérique est plutôt constitué à partir de signes symboliques, fussent-ils des symboles numériques producteurs d’images. Tout ceci peut paraître quelque peu abstrait mais va s’éclairer par quelques exemples.

Le signe que Peirce dit iconique est un signe qui partage des propriétés avec ce dont il est le signe. Peirce en donne justement pour exemple la maquette de l’architecte, laquelle partage bien des propriétés avec l’édifice dont elle est la maquette [10]. Autre exemple de signe iconique, non moins architectural : la croix du plan d’une quelconque église catholique partage comme telle ses propriétés avec la Croix du Christ. Différente est la croix, +, utilisée en arithmétique comme signe de l’addition, qui est, quant à elle, un signe symbolique, genre de signe que Peirce définit comme signe adopté par convention. Rien ne changerait en effet aux mathématiques si, tout à coup, les mathématiciens s’accordaient pour remplacer le signe + de l’addition par le signe x, et réciproquement celui de la multiplication, x, par le signe +, du moment qu’ils s’entendraient sur une nouvelle convention. Par contre la croix de saint André : x, n’est évidemment pas différente de celle du Christ en tant qu’elle est un signe iconique : même si c’est un signe différent il appartient à la même catégorie.

Enfin il me faut encore signaler la troisième catégorie de signes, celle des signes indiciels, dont l’exemple peut à nouveau être une croix, mais cette fois celle d’un signal routier indiquant la place d’un croisement. Le signe indiciel est, chez Peirce, un signe produit par la réalité (en l’occurrence la réalité d’un croisement présent sur les lieux). Mais je laisserai de côté cette catégorie de signes qui ne nous concernera pas directement ici [11].

De tout ceci retenons que le signe, qui associe un signifiant et un signifié – pour parler comme Saussure – demande toutefois à être interprêté, le signe d’une croix pouvant être selon les cas, comme on vient de le voir, une image chrétienne, un signe d’addition ou un signal du code de la route. Intervient donc la ternarité.

A ce stade, l’important est de faire l’hypothèse que la distinction sémiotique entre signes iconiques et signes symboliques puisse concerner le rapport problématique qu’entretiennent le dessin, – a priori de nature iconique – et la conception numérique, – a priori de nature symbolique -. Une opposition peut se donner à voir dans la différence que peut manifester un croquis d’Alvar Aalto et une représentation de type BIM. Tout ceci suggère que la sémiotique puisse nous être de quelque utilité pour tenter d’y voir plus clair dans ce qui se joue entre dessin et numérique.

(III) Figuration graphique en architecture

Enfin, troisième point d’introduction : en 1975, j’avais réfléchi, avec Jacques Guillerme et René Tabouret, dans le cadre d’une recherche que nous menions sur la figuration graphique en architecture [12], à cette dimension de la conception architecturale qu’est la figuration ; recherche qui donna lieu par la suite, pour la part qui me revenait, à la publication du livre Figures de la conception architecturale, publié par la suite, avec compléments et collaboration de Frédéric Pousin [13]. Le mot du titre, figure, y est évidemment à prendre en un sens iconique : qu’il s’agisse de maquettes, de croquis, de dessins d’avant-projet etc., la représentation architecturale comporte une part inéluctable d’iconicité. Pourtant la figuration en architecture peut se situer, de façon plus indéterminée, entre iconicité et symbolicité. Une différence qu’exemplifierait bien la distinction venturienne entre le “canard” – iconique – et et le “hangar décoré” – symbolique -.

Plus généralement, si on ne sait pas qu’une représentation est celle d’un “plan” et non celle d’une “façade” ou celle d’une “coupe”, on ne saura pas lire la figure qu’on a sous les yeux. Une légende (du latin legenda : “ce qui est à lire”) est nécessaire et ces mots, « plan », « façade », « coupe » sont bien des légendes, explicites ou sous-entendue, peu importe. Ce sont, au sens de Peirce, des signes symboliques en tant qu’ils sont des mots de la langue [14].

Autrement dit, la représentation architecturale est hybride, étant pour partie, vue, et pour partie, lue. On peut même penser que cette “lecture” hybride est nécessaire distinguant bien souvent le dessin de l’architecte de celui du peintre. Elle comporte donc des signes iconiques et des signes symboliques.

Un croquis des plus simples, de Le Corbusier, que je schématise ici, me permettra de résumer la chose. L’architecte y trace une horizontale accompagnée des mots « ciel » et « mer ». Il comporte un signe iconique, à savoir la droite, qui représente l’horizon, et des signes symboliques, les mots « ciel » et « terre » :

Une hybridation symbolique/iconique (schéma Ph. Boudon d’après Le Corbusier)

Preuve que l’horizon est un signe iconique : si la droite était verticale elle ne pourrait certes plus être un horizon. L’horizontalité de la ligne est bien une propriété partagée avec l’horizon. Preuve que les mots sont des signes symboliques : on pourrait leur substituer sans problème les mots anglais « sky » et « sea », selon la convention de parler anglais plutôt que français, ce qui ne changerait rien à l’affaire.

On se tromperait donc en pensant que la représentation architecturale est seulement de nature iconique. Elle peut s’accompagner – et s’accompagne généralement – de signes symboliques. En témoigne à lui seul l’existence d’un Vocabulaire de l’architecture classique comme celui de J.-M. Pérouse de Montclos.

Dans la recherche mentionnée plus haut, j’avais donné l’exemple d’un rectangle représentant un immeuble de plan rectangulaire, comportant des escaliers représentés symboliquement par une croix, jetée incidemment dans une esquisse par son concepteur à seule fin de situer un escalier. Il aurait pu aussi bien le représenter par des pastilles, croix ou pastilles étant alors des signes symboliques. Mais j’avais indiqué la possibilité – toute théorique – que, devant un tel croquis, l’architecte, puisse par la suite, au cours de la conception, se dire « après tout, pourquoi pas un escalier circulaire ? ». Ou encore, qu’ayant esquissé un escalier à la manière d’un hiéroglyphe égyptien, image ayant surtout valeur de symbole, il en reconsidère une propriété, l’orientation. Une opération sémiotique de la part du concepteur est alors de reconsidérer iconiquement un signe d’abord posé symboliquement : le statut sémiotique du signe symbolique devient alors iconique. Une telle opération de conception, de nature sémiotique traduit une vicariance de signe. On aurait un exemple d’une telle vicariance de signe avec le fameux canard-lapin de Jastrow sur lequel a médité Wittgenstein, ou dans le dessin non moins connu de la jeune élégante / vieille femme.

On peut alors schématiser la vicariance de signe par un schéma (a) une formule (a) indiquant qu’un dessin Rt représentant un rein (R1) puisse être vu comme représentant un haricot (R2) [15] :
(a) Rt (Ré1 “rein”=> Ré2 “haricot”)

La vicariance sémiotique, dans ce cas, revient à remplacer le représenté d’un représentant par un autre, cas du canard-lapin. On notera au passage que si le philosophe (par exemple Wittgenstein) s’intéresse plutôt à la disjonction inévitable de la perception qui fait qu’on ne peut voir en même temps le canard et le lapin, il a bien fallu que son concepteur opère leur conjonction et dessine à la fois un canard et un lapin [16].

Toutefois c’est ici un autre niveau de vicariance possible que je souhaite souligner. Non plus celui d’un changement de représenté, – canard/lapin, ou bien jeune élégante/vieille femme – mais changement de nature de signe : une vicariance entre signe iconique et signe symbolique. C’est l’idée que l’on puisse voir un signe comme iconique ou le voir comme symbolique.
Une seconde formule (b) s’écrirait alors :
(b) (Rt > Ré symbolique) => (Rt > Ré iconique)
dans laquelle c’est la façon de faire signe du représentant qui se voit substituer une interprétation iconique à une initialement symbolique.

Le cas du canard-lapin, dont rend compte (a), est ainsi de nature différente, quant à la vicariance de signe, de celui de l’escalier que j’ai décrit, sont rend compte (b). Et c’est l’hybridité de la représentation architecturale – entre iconicité et symbolicité – dont on trouverait des exemples à foison, qui rend possible la vicariance. Or cette hybridité caractérise les représentations architecturales, ce que je voudrais montrer maintenant avec trois cas.

(IV) Hybridité iconico-symbolique des représentations architecturales.

  1. Les Cinq ordres de l’architecture, tels que l’on peut les voir dans le cataglogue la belle exposition qui a eu lieu récemment à Paris aux Archives Nationales [17], sont présentés selon deux modes correspondant aux éditions successives de l’ouvrage. Dans la première, celle de Vignole lui même [18], les différents ordres sont de même taille, sans doute motivée par le format de la page, et les différences de taille auxquelles ces représentations sont censées renvoyer dans la réalité sont lisibles à partir des légendes relatives aux modules. Soit une indication de l’échelle prise en charge par des signes symboliques [19]. Différente est l’édition ultérieure du Vignole par Le Muet, laquelle rend cette fois visibles les différences de mesures, d’échelle, correspondant toujours aux divers ordres réglés par Vignole, mais cette fois iconiquement :

Représentation des ordres selon une échelle symbolique (Vignole à gauche) et selon une échelle iconique (Le Muet à droite) (dessins extraits de Dessiner pour bâtir, op. cit.)

2. Un second cas d’hybridité se présente selon moi dans la comparaison de l’homme de Léonard de Vinci et de l’homme-le-bras-levé de Le Corbusier. Dans le premier cas, l’échelle est visiblement celle d’un homme reconnu comme tel, ce qui en fait un signe iconique, tandis que, dans le cas de l’homme-le-bras-levé, ce sont les chiffres du Modulor qui accompagnent la figure (à vrai dire quelque peu dé-figurée) qui indiquent, celle fois symboliquement, l’échelle.

3. Enfin il est à noter que la conception architecturale via l’informatique alterne entre iconicité et symbolicité, comme on en a l’exemple avec le couplage des logiciels Rhino et Grasshopper présentés sur des écrans ou des fenêtres différentes. Ceci justifie je crois le questionnement sémiotique que j’ai tenté ici. Reste à savoir si la conception des logiciels peut ou non prendre en charge les phénomènes de vicariance que peut comporter conception architecturale.

(V) Le lisible et le visible.

Pour tenter de répondre à cette question, et faute de compétence en matière de numérique, je me suis adressé à l’auteure d’une excellente thèse d’architecture dans laquelle j’ai pu déjà constater que les mots de représentation « explicite » d’une part, de représentation « symbolique » de l’autre pouvaient renvoyer de facto à la distinction percienne entre icône et symbole [20]. Donnant à lire la partie ci-dessus du présent article à Aurélie de Boissieu, celle-ci voulut s’assurer d’avoir bien compris, en proposant le cas d’un programme informatique trouvé par hasard sur internet : – je lis le texte (« for », « if », « then ») comme signes symboliques, je lis la mise en page du texte, avec l’incrémentation qui augmente et le groupement par ligne comme signe iconique : s’agit-il de vicariance du signe ?

Ma réponse fut affirmative. Car se trouvent bel et bien associées dans une telle lecture, d’une part une réception des symboles que sont les mots du texte et une représentation iconique des groupements de lignes.
Le cas de l’écriture musicale peut éclairer cette lecture qui louvoye entre notes saisies comme telles et images, globale ou locales, de la partition. Ainsi, tandis qu’une partition musicale est faite de symboles – des notes qu’il faut avoir apprises pour pouvoir les lire ainsi que toutes sortes d’autres notations – le musicien professionnel n’aura pas de mal à voir, dans telle ou telle partition, si elle émane de Bach, de Beethoven ou de Xenakis. Reste à savoir si le spécialiste du numérique pourra mettre en oeuvre une telle vicariance avec « doigté ». Non que celui-ci, justement, se limite au « digital » mais qu’il consiste à bénéficier de la réflexion relative à la conception qui peut trouver place dans l’image des jonctions entre paquets d’items représentés par exemple dans Grasshopper.

Les représentations paramétriques comme signes iconico-symboliques (illustration A. de Boissieu)

« La lecture iconico-symbolique peut s’appliquer aussi au script grasshopper. Il y a évidement la prévisualisation géométrique du scripts grasshopper dans rhinoceros (qui est iconique), mais il y a aussi le script grasshopper en lui même qui est intéressant à étudier. En effet le script peut se lire :

  • de façon diagrammatique grâce à l’organisation en graphe, les liens de dépendances entre les noeuds se lisent de façon iconique par exemple, tout comme les unités de traitement que sont les noeuds (c’est l’apport de la programmation visuelle).

  • mais le script doit se lire aussi de façon symbolique : les noms des fonctions que permettent les composants ainsi que les entrées nécessaires doivent être lus et reprennent un vocabulaire particulier » (Aurélie de Boissieu, 12/3/2018).

L’usage du mot « diagrammatique » dans la légende ci-dessus est lui-même à ce titre, symptomatique, si l’on admet qu’une possibilité de comprendre ce qui fait un diagramme tient à sa double nature, symbolique et iconique, comme il en va d’une courbe de température, composée de valeurs symboliques successives discrètes dont cependant on apprécie iconiquement la tendance générale.

Pour finir je citerai cette petite histoire racontée par Alfred Jarry qui me semble évoquer à merveille la question que pose la distinction à faire entre mesure iconique et mesure symbolique : « Après avoir pris les mesures du nez, de l’écartement des yeux, de la hauteur de la face etc. le peintre dit à son client : « Revenez dans quinze jours, votre portrait sera terminé» … Elle rend patente, à mon sens, la nécessité que le symbolique – auquel le numérique fait la meilleure part – s’accompagne d’iconicité.

[1] Antoine Pïcon, Culture numérique et architecture – une introduction, Birkhaüser Fr. 2010.
[2] Mario Carpo The Digital Turn in Architecture 1992-2012, AD Reader, Edited by Mario Carpo. Chichester : John Wiley & Sons, 2013.
[3] André Berthoz, La vicariance, Le cerveau créateur de mondes, Odile Jacob, 2013.
[4] Op. cit. p. 104.
[5] voir Nicole Everaert-Desmedt, Le processus interprétatif, introduction à la sémiotique de Ch. S. Peirce, Pierre Mardaga, Liège, 1990
[6] A vrai dire, Peirce, qui ne se reconnaissait pas dans la tournure donnée au pragmatisme par ces auteurs, prit le parti de renommer le sien “pragmaticisme”, estimant que, le mot étant suffisamment laid, il ne lui serait pas à nouveau emprunté puis détourné…
[7] La sémiologie dont Saussure fait ici l’hypothèse s’est poursuivie par A. Greimas dans une sémiotique, l’auteur s’attachant plus au sens qu’au signe. C’est le mot sémotique – du grec “semeion” qu’utilise de son côté Charles Sanders Peirce pour qui toute pensée est signe.
[8] ColIected papers 2.228.
[9] Cf. Nicole Everaert-Desmedt, op. cit.
[10] Hormis son échelle…
[11] Non qu’elle ne soit importante pour l’architecturologie puisqu’elle concerne la question cruciale de l’ “embrayage”.
[12] Philippe Boudon, « sémiologie des figures et syntaxe des signes » (in Ph. Boudon, J. Guillerme, R.-J Tabouret, Figuration graphique en architecture, Area, Paris, 1975).
[13] Philippe Boudon, Frédéric Pousin, Figures de la conception architecturale, Dunod, Paris, 1988. De son côté Jacques Guillerme a publié en italien La figurazione in architettura, Franco Angeli ed., Milan, 1982.
[14] Peirce les nomme légisignes.
[15] J’introduis ici les termes de représentant, Rt, et de représenté, Ré, possiblement des images, signes plus larges que les signifiant et signifié de Saussure, lesquels ne concernent que le signe verbal.
[16] Cf. Philippe Boudon, Conception, Editons de la Villette, Paris; 2004, p. 78.
[17] Dessiner pour bâtir, le métier d’architecte au XVIIe siècle, Archives Nationales, LEPASSAGE, 2018.
[18] ibidem p. 83.
[19] ibidem p. 85.
[20] La thèse d’Aurélie de Boissieu « Modélisation paramétrique en conception architecturale » a reçu le Prix de la meilleure thèse d’architecture donné par l’Académie d’Architecture en 2014).

 

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ISSN : 2647-8447